Dès fin mars 2020, le gouvernement a commencé à plancher sur les critères de reconnaissance du Covid-19 en maladie professionnelle. Le décret qui les définit, attendu initialement pour le 31 juillet, est finalement sorti le 14 septembre. Il reprend en grande partie les éléments d’un projet de texte qui circule depuis début juillet, lequel avait déjà précisé le cadre retenu par le gouvernement. Et celui-ci fait débat.
Alors que l’épidémie a touché 387 252 personnes en France, et que 30 950 en sont mortes (selon les statistiques de Santé publique France au 15 septembre), le décret ne prévoit d’accorder la reconnaissance en maladie professionnelle qu’aux travailleurs victimes d’une affection respiratoire grave, et seulement s’ils ont été admis en réanimation sous oxygénothérapie ou s’ils en sont décédés. Sont ainsi exclues d’autres complications : rénales, neurologiques, cérébrales, cardiovasculaires, musculaires, psychiques… « Selon les connaissances actuelles, il semble pourtant que des personnes contaminées, même asymptomatiques, connaîtront des résurgences et des rechutes, signe que le Covid-19 peut évoluer comme une maladie chronique », s’alarme Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la CFDT.
Un tableau réservé aux soignants
Le décret prévoit ensuite deux circuits de reconnaissance. Le premier concerne les soignants et les salariés travaillant en milieu de soin, qui bénéficieront d’un nouveau tableau de maladie professionnelle : le n° 100. Comme indiqué plus haut, ce dernier restreindra pour la première fois la prise en charge d’une pathologie à un certain degré de gravité. La question se pose également de la pertinence d’un nouveau tableau, alors qu’il en existe déjà un dédié aux maladies liées à des agents infectieux ou parasitaires : le n° 76. Les travailleurs relevant du régime agricole auront leur propre tableau (n° 60), tandis que les professionnels libéraux, même ceux qui ne souscrivent pas à l’assurance AT-MP, bénéficieront d’une indemnisation par l’Etat.
Pour les autres personnes contaminées sur leur lieu de travail, un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) spécifique est censé examiner les demandes, dans le cadre du système dit complémentaire. Pourquoi ce distinguo entre les professionnels exposés, selon qu’ils relèvent du secteur de la santé ou non ? Le ministère du Travail n’a pas souhaité répondre à nos questions sur le sujet. « Les employeurs étaient contre la création d’un tableau pour tous les salariés, car ceux-ci vont être tentés d’attaquer leur employeur pour faute inexcusable, une fois le Covid-19 reconnu en maladie professionnelle », avance Alain Prunier de l’Association des accidentés de la vie (Fnath). Quoi qu’il en soit, le passage par le système complémentaire promet d’être « un véritable parcours du combattant », estime Serge Legagnoa, secrétaire confédéral Force ouvrière.
Sur ce sujet, le projet de décret posait un problème majeur. Il prévoyait que les demandes traitées par le CRRMP le seraient dans le cadre de l’alinéa 7 de l’article L. 461-1 du Code de la Sécurité sociale. « Cela signifie que les victimes devront établir “un lien direct et essentiel” entre leurs conditions d’exposition et leur pathologie », expliquait Jacques Faugeron, président de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva), dans un courrier au Premier ministre le 6 juillet dernier. Une démarche très difficile, qui ne s’applique qu’en l’absence d’un tableau de maladie professionnelle. Or, il y en a bien un dans le cas présent. Le décret final ne mentionne plus cet alinéa. Reste à savoir comment le CRRMP traitera finalement la question.
En attendant la parution de ce texte, certains acteurs se sont tournés vers la déclaration du Covid-19 en accident du travail. « C’est pour le moment la seule option, précise Julie Vigan, responsable juridique de la Fnath. Mais le délai d’incubation étant variable d’une personne à une autre – entre cinq et quinze jours –, le lien entre le fait accidentel et la survenance de la lésion apparaît difficile à établir en pratique. » L’idée de créer un fonds d’indemnisation spécial pour les victimes du Covid-19 s’est aussi heurtée à l’opposition du gouvernement. La proposition de loi sur le sujet de la sénatrice socialiste Victoire Jasmin, soutenue par la Fnath, l’Andeva, la CFDT et la CFTC, a été retoquée fin juin.
Anticipation ou confusion ?
Sans attendre le décret final, ce qui est une première, l’Assurance maladie a malgré tout décidé le 20 août dernier de mettre en ligne un site Internet dédié aux demandes de reconnaissance du Covid-19 en maladie professionnelle. « Nous avons commencé à enregistrer les demandes afin de réunir les pièces nécessaires, justifie la Caisse nationale d’assurance maladie, sans donner plus de précision sur le nombre de dossiers en instance. Nos systèmes d’information étant prêts et la parution du décret proche, avec l’accord du ministère de la Santé, nous avons pu ouvrir dès à présent le service pour que les assurés puissent déposer leurs demandes de maladie professionnelle. Bien sûr, aucune décision de reconnaissance ne pourra toutefois intervenir tant que les textes ne seront pas publiés. »
A ceci près que, si le site s’appuie sur le projet de décret, il évoque également des critères qui n’y figurent pas, comme le fait d’avoir été au contact du public pour les non-soignants. Compte tenu des changements opérés dans le texte définitif, tout cela laisse présager quelques contentieux. Au printemps, le gouvernement avait promis qu’il y aurait une reconnaissance pour tous les soignants, quoi qu’il en coûte. « Il y aura en définitive très peu d’élus, car les critères sont très restrictifs, comme si le gouvernement voulait se prémunir en cas de nouvelle pandémie », déplore Nadine Herrero, présidente de la Fnath.