Lent, complexe, voire « à bout de souffle »… Le système français de reconnaissance des maladies professionnelles est régulièrement critiqué, alors même qu’il repose sur un acquis fort : la présomption d’origine professionnelle pour les maladies inscrites dans des tableaux, laquelle joue en faveur des victimes. Etant donné le manque d’évolution des tableaux, ce principe a toutefois atteint ses limites, conduisant à la création d’un système complémentaire en 1993, destiné à augmenter le nombre de reconnaissances, mais sans le bénéfice de la présomption d’origine. Là encore, ses détracteurs en critiquent la portée, jugeant les démarches trop complexes pour être favorables aux victimes.
Revoir les critères
Selon la présidente de l’Association des accidentés de la vie (Fnath), Nadine Herrero, le problème principal réside dans l’insuffisante réparation des maladies professionnelles. Contrepartie historique de la présomption d’origine, l’indemnisation n’est pas intégrale. Forfaitaire, elle demeure bien inférieure à celle accordée par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva), par exemple, ou par les régimes assurantiels de responsabilité civile, lors des accidents de la route. Un tel écart conduit les salariés à attaquer leur employeur pour faute inexcusable, une procédure difficile qui n’en est pas moins incontournable pour atteindre une meilleure indemnisation. Pour ces raisons, aux yeux de Nadine Herrero, le système mérite d’être rénové. « La branche AT-MP [accidents du travail-maladies professionnelles] devrait pouvoir servir à indemniser correctement les salariés », suggère-t-elle. Quitte à y ajouter, si nécessaire, un « régime assurantiel complémentaire ». A contrario, la commission d’enquête parlementaire sur les maladies professionnelles dans l’industrie, dont le rapport, rédigé par le député PCF Pierre Dharréville, a été publié en juillet 2018, n’estime « pas opportun de remettre en cause le dispositif assurantiel collectif existant ». Sur le sujet de l’indemnisation, elle recommande avant tout de « rapprocher les critères, voire les modes d’instruction, des régimes de l’invalidité et de la maladie professionnelle pour amorcer leur convergence vers le haut ». Aujourd’hui, sur le plan financier, il faut un taux d’incapacité permanente de 66 % pour que la rente AT-MP soit équivalente à celle d’invalidité, rappellent les parlementaires.
Certains critères requis par le système complémentaire constituent un point noir, selon les organisations mobilisées pour la défense des victimes. La part d’avis favorables lors de la demande en reconnaissance d’une pathologie ne figurant pas dans un tableau n’était que de 37,5 % en 2018. Pour augmenter le nombre d’indemnisations, il faudrait baisser le taux d’incapacité permanente exigé, aujourd’hui fixé à 25 %, selon Nadine Herrero. Outre qu’il est « dissuasif », ce taux ne permet d’indemniser que les pathologies les plus graves. Or « ce n’est pas parce que les séquelles sont moindres qu’elles ne sont pas liées au travail », remarque-t-elle. La commission d’enquête parlementaire, elle aussi, réclame d’abaisser ce taux d’incapacité à 10 %, voire de le supprimer, afin de débloquer notamment les reconnaissances des affections psychiques.
Un autre obstacle à lever concerne la démonstration du « lien direct et essentiel » entre la maladie et l’activité, requis lui aussi pour les pathologies hors tableaux. Cette condition bute souvent sur l’absence de preuves. « Dans le cas d’une maladie différée, comme le cancer, c’est une mission impossible. Les employeurs n’ont pas l’obligation de garder les archives des expositions », observe la professeure en médecine du travail et docteure en droit Sophie Fantoni-Quinton. Pour débloquer la situation, elle propose d’inverser la charge de la preuve s’agissant des procédures hors tableau. Faute de documents écrits et de traces de leurs expositions accessibles lors des démarches engagées par les victimes, ce serait aux employeurs de justifier de l’absence d’exposition des salariés, afin d’être mis hors de cause.
Un cadastre pour localiser les maladies professionnelles
Les pratiques de la branche AT-MP sont aussi sujettes à débat. « Historiquement, les cadres des caisses d’assurance maladie sont du côté des employeurs. Ils instruisent surtout à décharge des employeurs, dont ils considèrent qu’ils sont les assureurs », regrette le responsable du collectif CFDT des mineurs de Lorraine, François Dosso. Son collègue Jean-Claude Zerbib renchérit : « Dans le cas des troubles musculo- squelettiques, qui conduisent souvent à des déclassements ou à des licenciements, les caisses minimisent le coefficient professionnel qui pourrait être attribué aux victimes en plus du taux d’incapacité. » Ce qui réduit l’indemnisation. « Il faudrait regarder de plus près la philosophie qui anime les CRRMP [comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles], estime Pierre Dharréville, car on a le sentiment que la Sécurité sociale est l’adversaire des victimes dans le cadre des procédures de reconnaissance. Il pourrait y avoir des directives, des orientations différentes. »
Pour le député, l’insuffisante traçabilité des maladies professionnelles elle-même pose problème. La proposition de loi déposée par son groupe parlementaire en juin 2020 vise à établir un cadastre, afin de localiser et consigner les déclarations de maladies professionnelles. « Il est décisif de savoir où se produisent les maladies pour savoir comment lutter contre elles », explique-t-il. Au-delà de la question de la prévention, véritable objectif du texte, cette opération de transparence aurait le mérite de mettre en évidence des foyers de maladies professionnelles et pourrait faciliter leur reconnaissance.