Dans les années 1970, l'image du chauffeur routier était celle d'un conducteur sillonnant le pays vers de lointaines destinations, sachant quand il partait mais ignorant quand il allait rentrer. Depuis, la réalité de ce métier du secteur logistique a beaucoup changé. Si certains risques sont toujours présents, de nouveaux ont émergé.
Conduire n'est pas sans danger ; nous avons tous en tête le potentiel accident de la route. Toutefois, lorsque l'activité de conduite constitue le quotidien professionnel, ce risque devient majeur. Les changements de rythme, les horaires irréguliers, décalés ou de nuit, et la fatigue accumulée qu'ils peuvent induire, accentuent les phénomènes de somnolence et de perte de vigilance, souvent à l'origine d'accidents. En termes de santé, les vibrations du véhicule auxquelles les chauffeurs sont longuement exposés favorisent l'apparition de douleurs dorsales et d'atteintes du rachis lombaire. Enfin, même si conduire constitue le coeur du métier, d'autres tâches sont à la charge du conducteur, avec une incidence en termes de charge de travail. Il doit assurer les actes administratifs liés au transport, participer parfois au chargement et/ou au déchargement de la marchandise, entretenir le véhicule.
Des délais plus courts
Depuis une trentaine d'années, la profession a été marquée par de profondes transformations réglementaires, organisationnelles ou technologiques, avec un impact sur la santé et la sécurité des conducteurs, mais aussi sur la définition de leur métier. Ainsi, à partir de 1975, la mise en place d'organisations en "flux tendu" dans les entreprises a entraîné une réduction de leurs stocks. En termes de transport, cela s'est traduit par des lots de marchandises de plus petite taille à déplacer à une fréquence plus élevée, et des plages horaires de livraison chez les clients à respecter sous peine de pénalités. Ces modifications ont eu pour effet d'accentuer la pression du temps ressentie par les conducteurs, créant le sentiment d'avoir des délais de livraison moins souples et plus courts.
En parallèle, la bourse de fret accessible par Minitel puis sur Internet s'est développée et a signé la fin des bureaux régionaux de fret créés dans les années 1960. Ces derniers permettaient aux conducteurs d'agencer en toute liberté leur retour en charge vers leur région d'origine. La tâche de recherche du fret a alors été confiée exclusivement aux exploitants des entreprises de transport, renforçant leur rôle de superviseur et redéfinissant le métier de chauffeur routier. Les conducteurs ne pouvaient plus s'organiser selon leur propre rythme et avec autonomie, notamment concernant le choix de leurs itinéraires et de leurs moments de pause. Plus tard, l'arrivée du téléphone portable s'est accompagnée de craintes, comme celle d'être surveillé par les exploitants ou de perdre encore de l'autonomie en devenant joignable à tout moment. Cet outil a néanmoins trouvé sa place en permettant aux chauffeurs d'optimiser la gestion de leur temps, d'être plus mobiles et flexibles. Ils y voient aujourd'hui des avantages à titre personnel, puisque le portable assure un rôle de passerelle entre vie professionnelle et vie privée.
Vers 1995, une démarche appelée "de progrès social" a été entreprise dans le transport de marchandises. Elle a consisté à favoriser la transparence des activités réalisées, à réglementer les temps de travail, à revaloriser les rémunérations ou encore à développer des exigences minimales en matière de formation initiale des conducteurs. Mais elle s'est accompagnée de l'ouverture du marché commun à des pays dont la réglementation était moins contraignante et dans lesquels la main-d'oeuvre était moins chère, conduisant ainsi à intensifier la concurrence entre la France et certains pays européens. S'y sont ajoutées des contraintes liées au contexte économique : une augmentation des coûts du gasoil et une diminution du fret à transporter, du fait d'une baisse de la consommation des ménages.
Depuis, le transport français recule au niveau international et les entreprises se réorganisent en se repliant sur des marchés nationaux et régionaux. En termes de santé et de sécurité, cette activité de transport régional a pour résultat de morceler les temps de conduite et d'augmenter la fréquence des autres activités du conducteur. Ce dernier est alors davantage susceptible de développer des troubles musculo-squelettiques, causés par des manutentions répétées lors des phases de chargement/déchargement ou des multiples manoeuvres autour des véhicules.
Les contraintes croisées liées à la gestion des aléas (pannes, incidents sur la route, relations avec les clients...) et au respect de règles plus strictes concernant le temps de travail (calcul des temps de pause, par exemple) se sont également traduites par une charge mentale accrue. Pour certaines marchandises, le risque d'agression peut s'y ajouter. Les conducteurs sont donc désormais exposés à des risques psychosociaux. Tous ces aspects sont à considérer dans un contexte où les procédures deviennent plus formalisées, quelles que soient les tâches : plannings élaborés par les exploitants à respecter au mieux, suivi en temps réel de leur positionnement et de leur consommation de gasoil par les systèmes informatiques embarqués...
De simples exécutants ?
Actuellement, avec l'accroissement des livraisons à domicile et l'expansion de l'e-commerce, le paysage du transport continue d'évoluer, avec une hausse de l'activité de livraison en centre-ville, où les difficultés d'accès aux clients, l'engorgement des voies, le développement des zones piétonnes, les difficultés de stationnement et l'absence d'outils de manutention adaptés s'ajoutent aux constats précédents. Résultat, les conducteurs ont de plus en plus le sentiment de devenir de simples exécutants. Force est de constater que le métier s'est modifié au fil des ans, tout comme les risques professionnels qui l'accompagnent.
De nombreuses recherches et actions mobilisant des acteurs d'horizons différents ont contribué à améliorer la sécurité des conducteurs. Par exemple, en 2004, la charte de partenariat sur la sécurité routière signée entre l'Etat et la profession incite à engager des actions, notamment au niveau de l'équipement des véhicules (limiteur de vitesse, barre anti-encastrement...). En 2006, le protocole de sécurité entre l'entreprise d'accueil et le transporteur est mis en place, afin de regrouper les informations permettant d'identifier les risques et les mesures de prévention adéquates. Malgré ces actions, le taux de sinistralité dans la branche en matière d'atteintes professionnelles est encore largement supérieur à la moyenne nationale, toutes branches confondues. Dans un secteur complexe, très réglementé, soumis à une forte concurrence et toujours en transformation, les efforts de prévention des risques professionnels doivent se poursuivre et s'adapter aux mutations des métiers, afin d'inverser cette sinistralité coûteuse pour les acteurs de la profession.