Sur quels principes et méthodes d'organisation du travail se fonde le système Amazon ?
Jean-Baptiste Malet : Amazon a inventé son modèle, incarné par une mégamachine programmée aux Etats-Unis et inspirée du fordisme et du toyotisme. Ce système d'organisation du travail par informatique, où les hommes sont pilotés par ordinateur, se double d'une idéologie maison capable d'une redoutable mécanique d'emprise psychologique. C'est un syncrétisme des vieilles utopies d'Internet, d'une fausse convivialité et d'un paternalisme réinventé. Sur les plates-formes, le travail des associates
est fragmenté, morcelé. Pour peu qu'il dispose de sa motricité, soit capable de lire ce qui s'affiche sur un écran et de déplacer des charges, n'importe quel précaire peut effectuer ce travail déqualifié soumis à un rythme abrutissant. Dans cette entreprise, le décalage est abyssal entre l'hypertechnicité d'un outil qui fonctionne par algorithmes, l'immense richesse personnelle du patron-fondateur Jeff Bezos et les conditions de travail de sa main-d'oeuvre prolétarisée. On peut dès lors parler d'"amazonisme".
Ce système est-il vraiment si différent de celui mis en place sur les autres plates-formes de logistique ou d'e-commerce ?
J.-B. M. : Chez Amazon, il n'y a pas de frontière entre la numérisation des tâches et l'utilisation de l'informatique pour le contrôle des personnes. On ne mesure pas à quel point le Wi-Fi, présenté comme une innovation, est un outil de surveillance totale et absolue dès lors que le salarié a en main sa "scanette", qui le relie en permanence au système, lui dicte ce qu'il doit faire, là où il doit aller, et mesure sa productivité à la seconde. Toutes les informations individuelles liées à la productivité mais aussi des données personnelles sont stockées aux Etats-Unis, au mépris de la réglementation européenne. Si l'on y ajoute le culte du secret, les fouilles arbitraires, l'incitation à la délation et l'endoctrinement avec la devise "Work hard, have fun, make history"
, on peut affirmer que cette entreprise déploie une idéologie proche du totalitarisme.
Dans ce système, quel est le rôle des managers ?
J.-B. M. : L'organisation d'Amazon élimine totalement les managers du processus décisionnel. Ils ne sont que la courroie de transmission de la mégamachine. On leur fait croire qu'ils sont responsables ; en réalité, ils passent leur temps devant un écran à surveiller les courbes de productivité des travailleurs. Ils sont mobilisables en permanence, y compris en dehors des heures de travail.
Ces conditions de travail génèrent-elles des risques ? La prévention est-elle une préoccupation pour la direction ?
J.-B. M. : La communication officielle fait état d'un taux d'accidents du travail dans la moyenne du secteur de la logistique, voire légèrement en dessous. La réalité est tout autre. Des pressions sont exercées pour que les victimes d'accident ne remplissent pas les formulaires. J'ai révélé de nombreuses fraudes d'Amazon, l'une concernant une fausse déclaration à l'Assurance maladie. La prévention n'est en aucun cas une préoccupation. Cette entreprise est arrivée à imposer les normes américaines, en s'exonérant du Code du travail. Et la classe politique laisse faire. Implantée dans des bassins d'emploi sinistrés, la multinationale peut compter sur l'armée de réserve des précaires. Et ce, quel qu'en soit le prix.