Le CHSCT doit disposer de toutes les données utiles à sa mission. Cette obligation générale d'information, qui pèse en priorité sur l'employeur, donne aux élus la possibilité d'avoir accès à un grand nombre de documents. Mais entre l'avalanche d'informations, qui confine parfois à la noyade, et la difficulté à obtenir celles vraiment demandées, laissant penser que " la direction cache quelque chose ", le CHSCT a intérêt à élaborer une stratégie.
Il s'agit d'éviter tout d'abord le formalisme, où les élus, au risque de paralyser l'instance, s'échinent à réclamer des documents qui leur arrivent finalement vidés de leur substance. Il faut aussi se méfier du trop-plein de matériaux écrits, qui peut finir par éloigner les élus du terrain. L'objectif est bien de disposer d'informations pertinentes et de pouvoir les organiser pour comprendre et anticiper les impacts du travail sur la sécurité et sur la santé des salariés, afin d'approfondir la connaissance des risques ou de proposer des améliorations.
Dans cette démarche, le CHSCT apparaît en première intention comme l'utilisateur de données produites par d'autres. Or il est lui aussi producteur de données dans le cadre de ses missions. Ce rôle, les représentants du personnel doivent en avoir conscience, en l'intégrant dans leur stratégie en matière d'information, car il représente aussi un enjeu important, tant pour leur propre action que pour le respect des droits des salariés concernant la réparation ou le suivi médical postexposition, par exemple.
Des avis éclairés et éclairants
Prenons les documents sur lesquels le CHSCT est consulté tous les ans en vue de rendre un avis : le document unique d'évaluation des risques, le rapport-bilan sur la santé, la sécurité et les conditions de travail, le programme de prévention, le rapport du médecin du travail. Si ces documents sont importants, les avis formulés par les élus CHSCT sur leur contenu le sont tout autant. Les élus sont censés y exprimer leur point de vue. C'est donc une occasion à ne pas rater pour argumenter, produire des données différentes ou complémentaires, notamment issues d'enquêtes réalisées auprès des salariés. Bref, c'est exercer un vrai contrôle social sur la démarche de prévention de l'entreprise.
Ces avis ont un statut juridique à part entière, dans la mesure où ils représentent un point de vue critique, soucieux prioritairement de la santé, là où l'entreprise peut être tentée de privilégier d'autres paramètres, comme la performance, notamment dans un contexte économique difficile. Ils sont d'ailleurs regardés à la loupe par les juges en cas d'accident ou de maladie professionnelle impliquant la responsabilité de l'employeur. Mais leur intérêt ne se limite pas à cela.
Sexe et âge : des éléments à prendre en compte
La construction sociale d'un problème de conditions de travail en entreprise implique que les acteurs à l'oeuvre pour l'instruire le situent bien dans son contexte réel, c'est-à-dire avec des femmes et des hommes, dans leur diversité en matière d'âge, d'ancienneté, de compétences... En effet, bien trop souvent, les informations et données produites par l'employeur ne font pas mention des caractéristiques de sexe et d'âge des populations concernées. Et elles font encore moins référence à des situations réelles de travail.
Or les femmes et les hommes, tout comme les jeunes et les seniors, ne font pas les mêmes métiers, n'occupent pas les mêmes postes, ne réalisent pas les mêmes tâches. Les femmes et les hommes, par exemple, sont en général exposés à des risques, pénibilités et violences distincts, souvent partiellement invisibilisés concernant les femmes, notamment dans les emplois à prédominance féminine. De même, les évolutions professionnelles sont différenciées entre les deux sexes. Les femmes et les hommes n'ont, le plus souvent, pas les mêmes parcours sur le marché du travail ou à l'intérieur des entreprises. Enfin, les expositions sont différentes s'agissant des contraintes en termes de temps de travail, que ce dernier soit professionnel ou domestique. Avoir des données sexuées, et qui tiennent compte des âges et de l'ancienneté, permet une analyse plus fine des déterminants des atteintes à la santé par le travail, bénéfique pour tous les salariés.
Ils sont aussi essentiels pour construire une relation avec les salariés, qui peut peser sur les stratégies de l'entreprise. Ils doivent donc être préparés en amont, à partir de ce que disent les travailleurs et travailleuses concernés. Les élus CHSCT sont une représentation de la collectivité de travail au service de la protection de la santé et de l'impératif de prévention. C'est ce lien direct avec les salariés qui leur confère la légitimité d'aller plus loin que l'approche technique ou scientifique développée par les experts : médecin du travail, préventeurs de la Sécurité sociale, inspecteur du travail.
D'autres documents peuvent être produits par le CHSCT, comme les enquêtes suite à des accidents, les rapports sur tout sujet dont il se saisit dans le cadre de ses missions d'inspection, ou encore les restitutions d'expertises qu'il a demandées. Ce type d'initiatives a pour objectif de regarder les conditions de réalisation du travail au plus près, de coller au réel, en tenant compte du vécu des salariés. Dans l'analyse d'un accident du travail, l'employeur ou les préventeurs se focalisent trop souvent sur le non-respect des consignes de sécurité, notamment le non-port des équipements de protection. Les élus CHSCT ont une autre approche, à partir de l'activité réelle de travail, ce qui éclaire différemment les prétendues " fautes " des salariés.
S'intéresser aux " petits troubles "
Ces analyses et enquêtes dont s'autosaisit le CHSCT garantissent son autonomie et lui permettent de travailler en phase avec les préoccupations du personnel. Par exemple, le fait de s'intéresser aux " petits troubles " des salariés apparus au fil de l'âge - troubles du sommeil, douleurs lombaires... -, dans le cadre d'une enquête où les élus vont discuter avec les salariés, peut leur permettre de les rendre visibles et de mettre en débat leurs liens potentiels avec les conditions de travail.
Enfin, le secrétaire du CHSCT élabore, à la suite de chaque réunion, un procès-verbal. Comme pour les rapports d'enquête ou les avis, la rédaction de ce document doit permettre sa communication aux salariés. Souvent dense en informations, il gagne à être très clair, afin que ces derniers puissent s'y retrouver. Rédiger un P-V, c'est synthétiser le point de vue des élus sur les sujets à l'ordre du jour, acter des divergences, mentionner le positionnement des experts, notamment celui du médecin du travail.
En définitive, les élus du CHSCT produisent eux-mêmes des données stratégiques pour infléchir la politique de prévention de l'entreprise. L'intérêt de ces données est de s'enraciner dans le réel du travail, tel que les salariés peuvent en rendre compte. Et c'est parce que ce point de vue des élus est coconstruit avec les salariés qu'il a des chances d'influer sur la politique de l'entreprise.