Un collectif de travail éclaté, des interventions dispersées... Sauf exceptions, l'activité des techniciens ascensoristes se déroule dans de multiples lieux, où des gens travaillent ou habitent. Pas simple, dans une telle configuration, de recenser les risques et de recueillir des informations sur les problèmes rencontrés par les salariés.
Schindler Ile-de-France, entreprise de 800 salariés, n'échappe pas à la règle, si l'on en croit les représentants du personnel au CHSCT - pour sa part, la direction de l'entreprise n'a pas souhaité répondre à nos questions. Les élus du CHSCT mettent notamment en avant les récentes évolutions organisationnelles, qui isoleraient davantage les opérateurs. "Aujourd'hui, un technicien de maintenance a 130 sites en portefeuille, contre 80 en 2002 ; il fait sept visites d'inspection par jour, à raison de dix-sept minutes par intervention en moyenne, pour un appareil classique à quatre niveaux", détaille Manuel Chali, élu CGT et membre du CHSCT. Autre obstacle, du fait du passage de trois directions régionales à une seule, il n'y a plus qu'un CHSCT, avec 10 membres au lieu de 17 et des heures de délégation en baisse.
"On se déplace, on prend des photos"
Dans ces conditions, l'instance compte avant tout, pour faire son travail, sur les remontées des salariés. "On se déplace, on prend des photos, on informe la direction. Cela peut déboucher sur une réunion extraordinaire. On obtient ainsi des actions correctives au coup par coup", raconte Manuel Chali. Inspections trimestrielles, enquêtes spécifiques ou suite à un accident complètent le panel"On essaie de tourner, mais les sites sont éclatés... et il y a des collègues qui ne veulent pas se faire taper sur les doigts", ajoute Manuel Chali. Ce dernier table sur des moyens informels pour surmonter les obstacles à la circulation de l'information : "Je me suis fait connaître dans mon agence.J'essaie de sensibiliser les collègues et de déjeuner avec l'équipe une fois par semaine."
Quant aux réunions trimestrielles du CHSCT, où convergent tous les sujets, "elles sont parfois difficiles - il y a des vues très divergentes - et à rallonge, avec 40 points à l'ordre du jour et des questions qui reviennent systématiquement", déclare Arnaud Carpentier, élu CFDT. La dernière s'est étendue sur... cinq séances. "Quand on découvre une situation, on fait notre travail, justifie Stéphane Gameroff, secrétaire CGT du CHSCT. On enquête, on pose des questions, on obtient des réponses, on met en exergue le fait que l'employeur ne remplit pas ses obligations..."
Tous ces échanges sont "tracés" par les procès-verbaux des réunions. De même que les risques sont censés l'être par le document unique d'évaluation des risques (DUER). Ce dernier, jugé peu opérationnel par les élus, constitue un enjeu. "Il est établi par les ingénieurs sécurité au niveau national, par métiers, non par postes, alors que chaque installation est différente. Il comporte peu de mesures de prévention collective et n'intègre pas certains risques", critique Stéphane Gameroff. Comme ceux afférents à la vérification des limiteurs de vitesse des ascenseurs et au nettoyage des courroies sur certains appareils. Faute de pouvoir supprimer le danger, les élus du CHSCT veulent voir notifiés ces risques et les méthodes recommandées pour les limiter. Sans succès. Plusieurs accidents sont pourtant survenus, dont l'un a donné lieu en décembre 2015 à une condamnation de Schindler, par le tribunal des affaires de Sécurité sociale des Yvelines, pour faute inexcusable.
L'information sur les accidents du travail n'est pas non plus évidente. "En principe, un membre du CHSCT se rend sur les lieux, mais l'information n'est pas forcément immédiate, et il n'est pas facile de vérifier si elle est systématique", estime Stéphane Gameroff. Pour les incidents, cela l'est encore moins. "On demande la mise en place d'un registre des incidents bénins, mais la direction refuse en certifiant qu'elle déclare tous les accidents du travail", poursuit-il, émettant des doutes : "Bien souvent, il nous faut convaincre les salariés de faire le certificat médical initial nécessaire à leur prise en charge."
Des sites amiantés recensés... en partie
De sécurité, il est beaucoup question dans les procédures de l'entreprise : incidents et changements de process font l'objet de réunions mensuelles par équipe ; chaque technicien a un classeur de sécurité par métier, avec fiches mises à jour au fil de l'eau, et un smartphone pour accéder à la base de données des sites d'intervention, avec des informations techniques mais aussi sur la présence d'amiante. Comme l'indique Didier Carton, contrôleur de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (Cramif), "l'amiante reste un sujet pour les ascensoristes. Dans ses modes opératoires, l'entreprise doit déterminer un niveau de protection validé par des mesures d'empoussièrement de façon à sécuriser l'intervention".
La question est récurrente au CHSCT. L'entreprise a bien mis en place tout un process pour recenser les sites contenant de l'amiante, mais le résultat présente des lacunes. "Il y a des sites où on sait qu'il y a de l'amiante, mais qui ne sont pas encore recensés, observe Arnaud Carpentier. Le process est lancé depuis dix-huit mois, il peut y avoir du retard. D'autant que le parc évolue de plus ou moins 10 % ou 15 % par an. Il arrive aussi qu'il y ait de l'amiante et qu'on ne le sache pas à l'avance : le site n'est pas recensé ou bien le client n'a pas fait de diagnostic, ou le responsable d'équipe ne l'a pas communiqué."
Quand il y a un doute sur la présence d'amiante, c'est signalé au technicien. Dans ce cas, mais aussi dans celui où il a lui-même un doute, il doit s'équiper avec un kit amiante. En théorie du moins, car c'est très contraignant. "Vingt minutes pour s'habiller, autant pour se déshabiller, pour parfois intervenir cinq minutes", note Manuel Chali. Il y a là aussi des loupés. "L'entreprise demande au client de faire le diagnostic et au technicien de s'équiper. Tout est reporté sur le salarié, alors qu'aucun prélèvement d'air ou de flocage n'a été fait", s'insurge Stéphane Gameroff.
Autre problème, si le salarié n'a pas de doute... Un technicien qui aurait travaillé sur un site encore non identifié comme amianté n'aura pas forcément de fiche d'exposition a posteriori. Quant aux attestations d'exposition, elles ne sont pas délivrées de manière exhaustive : parmi les anciens salariés, seuls ceux ayant effectué une intervention sur les ascenseurs sont contactés. Exit, par exemple, le technicien de bureau d'études qui a fait des relevés.
Côté suivi médical, près de 30 % des salariés sont soumis à une surveillance renforcée, menée par des médecins du travail d'un service interentreprises "très actifs", selon les représentants du personnel. Et de citer les observations et courriers transmis à l'employeur, notamment sur la prévention du risque amiante, en concertation avec la Cramif. Des actions dont les élus ont bien du mal à être informés en temps et en heure.