Le Code du travail impose que le débat social en entreprise sur les enjeux de santé soit alimenté par une série d'informations. Celles-ci proviennent de l'employeur, des agents de contrôle du ministère du Travail ou de la Sécurité sociale, du service de santé au travail ou du CHSCT. Il est néanmoins fréquent que les documents produits ne permettent pas d'appréhender les problématiques réelles de santé.
En effet, les informations délivrées et les analyses mises en circulation portent la marque des rapports de pouvoir au sein de l'entreprise. Elles sont le reflet de l'importance que l'on accorde aux questions de santé ou à la qualité des relations que l'on entend nouer avec les instances représentatives du personnel (IRP). Bien souvent, elles sont très partielles et orientent l'action dans un sens conforme au souhait le plus courant des directions : se mettre en conformité avec la réglementation, mais, autant que possible, sans rien changer à l'organisation du travail, en réduisant ainsi l'espace du débat. De leur côté, les représentants du personnel sont parfois dans une demande "boulimique" d'informations, qui dans le meilleur des cas alimenteront des "bases de données", sans que le lien soit fait avec les situations réelles de travail, comme si ces informations avaient une valeur en elles-mêmes.
Construire un "point de vue"
L'objectif de toute information en matière de santé au travail est d'aider les salariés et leurs représentants à analyser certaines situations de travail, qu'il s'agisse d'une situation à risque, des conséquences d'un projet sur les conditions de travail, des effets de l'organisation du travail et de la production, de l'impact d'une politique RH... Elle doit permettre d'engager la discussion avec les salariés concernés, pour construire avec eux un "point de vue" sur le travail et élaborer des pistes de transformation. Il importe donc de se poser plusieurs questions : quelle est l'information nécessaire ? A quoi va-t-elle servir ? Comment va-t-elle être utilisée pour discuter avec les salariés ? A quel moment doit-on l'avoir ? Comment peut-on la mettre en perspective avec les informations recueillies sur le terrain, via des observations ou des entretiens avec les personnes ?
L'information obligatoire due par l'employeur sur les accidents du travail et maladies professionnelles, l'exposition aux risques, l'absentéisme, la structure des emplois, etc., ne devient également pertinente pour la prévention que si elle est reliée à d'autres sources d'information qui renseignent sur le travail et ses difficultés. Par exemple, les données sur les réclamations des clients, sur le taux de marche des équipements, sur le taux de rebut des produits fabriqués, sur les problèmes de qualité ou les retards sont extrêmement utiles pour comprendre les pressions temporelles, la dégradation éventuelle du rapport des salariés à leur travail quand ils n'arrivent plus à faire un travail "de qualité". L'information ne parle pas d'elle-même, et l'analyse doit permettre d'établir des liens entre les données de production, les données RH, les données de santé et la manière dont les salariés vivent concrètement leur travail.
L'information doit enfin favoriser l'anticipation et la prévention. La consultation obligatoire du CHSCT en cas de projet de transformation du travail constitue un bon exemple. Elle est bien trop souvent réduite à une formalité. Pour que l'intervention des représentants du personnel ne reste pas superficielle, il est nécessaire de leur fournir des supports d'information qui rendent compte d'un vrai travail d'analyse : des maquettes ou des plans détaillés des futures installations, des simulations permettant de se représenter les répercussions des changements sur le travail et sur l'activité des salariés... Dès ce stade, il est important de prévoir quelles informations devront être recueillies afin de repérer les effets négatifs imprévus des transformations une fois qu'elles seront mises en place. Cette exigence d'anticipation et de suivi des effets sur le travail vaut pour tout projet de transformation, même limité. Le moment auquel l'information va être délivrée est tout aussi important. Est-il encore temps pour les élus d'agir sur le contenu du projet et d'en modifier certains aspects ?
Prudence à l'égard des questionnaires
Il est aussi nécessaire d'observer une certaine prudence vis-à-vis des enquêtes par questionnaire. Qu'elles soient menées par les directions ou par les représentants du personnel, celles-ci donnent généralement une image trop abstraite de la réalité et contribuent souvent à stériliser le débat. Lorsque l'organisation du travail apparaît dans le questionnaire, c'est à travers des notions extrêmement générales - autonomie, soutien social, reconnaissances, etc. -, très éloignées des difficultés concrètes rencontrées par les salariés. Il revient aux représentants du personnel de soutenir des exigences de sérieux en matière d'information et d'analyse. Les données et leur traitement doivent permettre de préciser le plus possible les problèmes, de les hiérarchiser et d'émettre des hypothèses sur les dimensions du travail en cause. Pour être des supports à la réflexion et à l'action, les résultats doivent être déclinés par service ou par atelier, en distinguant, si les effectifs le permettent, les hommes et les femmes, les différentes catégories professionnelles. Mais, même dans ces conditions, il est très important de comprendre que les enquêtes par questionnaire ne fournissent que des hypothèses, des orientations possibles pour examiner et mettre en discussion les conditions et l'organisation du travail.
Intégrer le vécu des salariés
En définitive, pour les représentants du personnel, la première source d'information demeure ce que disent les salariés de leur travail et des difficultés concrètes auxquelles ils doivent faire face. De fait, tout document sur la santé au travail présenté peut être une occasion de discussion avec les salariés pour savoir ce qu'ils en pensent à la lumière de leur expérience du travail. Mobiliser cette expérience impose de ne pas s'en tenir à des impressions générales. Il faut recueillir et mettre en discussion des épisodes critiques vécus par les salariés. Ces discussions permettent de préciser collectivement ce qu'il importe de changer dans la situation de travail, mais aussi ce qu'il faut veiller à préserver ou à développer à l'occasion des modifications envisagées.
Les éléments recueillis doivent aussi permettre d'interroger l'information fournie par la direction. Il est alors possible de revenir vers cette dernière pour examiner comment les solutions qu'elle propose permettent de faire face aux situations critiques repérées avec les salariés. Un tel processus, qui reconnaît, mobilise et développe l'expertise des agents concernés, permet d'ouvrir des perspectives réelles d'amélioration. Il fait reculer le sentiment de fatalité, lutte contre l'isolement et améliore l'opinion que les salariés peuvent avoir de leur propre valeur. En ce sens, il est, en lui-même, un facteur de santé.