Dans l’Union européenne, la demande de reconnaissance du Covid-19 comme atteinte professionnelle a donné lieu à diverses réponses. Si l’Italie et l’Espagne l’envisagent au titre des accidents du travail (AT), pour l’Allemagne, la Belgique, la Finlande ou la France ce sera une maladie professionnelle (MP). Les systèmes de reconnaissance des pathologies professionnelles ne sont en effet pas harmonisés au niveau européen. Une hétérogénéité qui reflète des choix politiques différents, comme le souligne une étude comparative publiée en juin par Eurogip
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Une maladie « n’est jamais professionnelle par essence », explique la juriste Christine Kieffer, auteure du rapport. « En Allemagne, par exemple, on désigne comme telle une pathologie qui apparaît deux fois plus fréquemment dans une population de travailleurs donnée, à condition que des études scientifiques aient démontré le lien entre exposition au travail et fréquence plus élevée de la maladie, précise-t- elle. En France ou en Italie, une maladie professionnelle est davantage le fruit d’un consensus entre les partenaires sociaux, dans un cadre temporel fixé par l’Etat et avec l’appui d’une expertise scientifique. »
Des pathologies plus ou moins reconnues
Si le syndrome du canal carpien est considéré comme une MP en France, ce n’est pas le cas en Autriche et ça l’est seulement depuis 2015 en Allemagne. Et si les surdités, dermatoses, troubles musculo-squelettiques (TMS) et cancers comptent parmi les pathologies les plus fréquentes, leur prévalence relative varie selon les pays. Les TMS représentent ainsi 87 % des MP en France, mais seulement 22 % au Danemark et 4 % en Allemagne. Les cancers professionnels reconnus sont beaucoup plus nombreux en outre-Rhin que partout ailleurs ! Quant aux pathologies psychiques, trois pays seulement les reconnaissent comme maladies professionnelles : le Danemark, qui en inclue certaines dans sa liste de MP ; la France et l’Italie, qui les prennent en charge dans le cadre des systèmes de reconnaissance complémentaires.
Plus l’organisation de prise en charge est connue des médecins et du grand public, plus le niveau d’attractivité de la reconnaissance est élevé pour la victime, et plus les demandes affluent. Toutes pathologies confondues, le niveau de déclaration est identique au Danemark et en France (ratios respectifs de 561 et 557 demandes pour 100 000 assurés), tandis qu’il est de moitié en Italie (ratio de 278) et plus de trois fois moindre en Allemagne (165).
La présomption d’imputabilité, un atout
« La plupart des pays ont choisi d’établir une liste ou des tableaux de maladies professionnelles, mais en Allemagne, Autriche et Belgique, les intitulés restent très génériques », indique Christine Kieffer. Du fait de cette formulation plus générique, certaines pathologies peuvent être écartées d’emblée. Quant à celles non listées, leur reconnaissance par les systèmes complémentaires est encore plus aléatoire. C’est surtout la phase d’instruction du caractère professionnel des maladies qui fait la différence, selon la juriste : « La France ou l’Italie confèrent aux maladies figurant dans un tableau une présomption d’origine professionnelle, ce qui se traduit par une quasi-automaticité de la reconnaissance, à condition toutefois que les critères administratifs et les caractéristiques d’exposition soient eux aussi remplis. » L’Allemagne procède, elle, à une instruction au cas par cas, pointilleuse, et fondée sur des éléments opaques car non publics.
Le rapport Eurogip approfondit la comparaison entre l’Italie et le Danemark. Le système italien est basé sur le même compromis social qu’en France, avec une présomption d’imputabilité quand la pathologie figure dans un tableau, et un système complémentaire dans le cas contraire. Le contenu des tableaux italiens est assez général pour laisser une marge de manœuvre à l’assureur, avec à la clé, un nombre de déclarations et de reconnaissances moindre qu’en France. Au Danemark aussi, le dispositif repose sur une liste de MP et un système complémentaire, mais il n’existe pas de présomption d’imputabilité. L’instruction se fait au cas par cas ; l’exposition au risque professionnel doit être évaluée et les antécédents médicaux examinés. A nombre de déclarations comparables, le taux de reconnaissance est plus faible qu’en France.
La France en tête des reconnaissances
« Il n’y a pas d’Eldorado en matière de reconnaissance des maladies professionnelles mais de bonnes pratiques dans chacun des pays, conclut Christine Kieffer. Le système français, qui n’est pas le plus réactif en termes d’évolution des tableaux, offre le meilleur taux de reconnaissance. » Avec un ratio de 258 maladies reconnues pour 100 000 assurés, il devance le Danemark (ratio de 130) ou l’Italie (106). Chercheur à l’Institut syndical européen (Etui), Laurent Vogel partage ce constat mais suggère deux pistes d’amélioration, valables pour l’ensemble des pays : « Rendre la santé publique plus sensible à la santé au travail et renforcer la parité car, globalement, il y a moins de femmes qui font une demande de reconnaissance de maladie professionnelle et la gamme des pathologies reconnues qui les concernent est moins étendue. » Une inégalité qui s’explique par l’histoire – les dispositifs de reconnaissance des maladies professionnelles, mis en place au début du XXe siècle, concernaient l’industrie et des populations essentiellement masculines. Aujourd’hui encore, les maladies prises en charge visent davantage des hommes. Quant aux activités où les femmes sont majoritaires – à l’instar du nettoyage ou des métiers du care –, elles sont négligées.