Pourquoi la prise en charge syndicale du travail constitue-t-elle un enjeu dans l'Education nationale ?
Yves Baunay : Cette prise en charge ne va pas de soi. Nos expériences et recherches-actions font émerger un travail syndical d'un nouveau type. C'est inédit. Prenons un exemple : j'ai mené une série d'enquêtes auprès d'enseignants de la filière sciences et technologies industrielles, confrontés à une modification brutale des contenus de leur discipline. Et ce, au mépris du travail réalisé par ces professeurs, qui s'attachent à mettre les enseignements en phase avec les évolutions technologiques. Une démarche de prévention a été amorcée dans le cadre syndical, mais des résistances importantes se sont manifestées à tous les échelons du syndicat. Pourtant, nous avions révélé un conflit sur le travail réel, avec des enjeux pour la santé de ces enseignants.
En septembre 2013, un enseignant de cette filière s'est suicidé, laissant une lettre où il expliquait son geste. Il interpellait le pouvoir politique, l'administration. A partir des questions de normes et de valeurs qu'il s'était posées, en trois ans de réforme dans ses classes, il interrogeait aussi son syndicat, le Snes. Cette expérience douloureuse a mis en évidence les potentialités d'un travail approfondi d'enquête, appuyé sur l'expertise des personnels et relayé au sein des instances officielles, comme les CHSCT ministériels et académiques. Lorsque les militants se mettent en apprentissage auprès des personnels, cela heurte les pratiques syndicales les plus routinières. Pour un syndicaliste, c'est une aventure singulière, un vrai défi.
La récente création de CHSCT a-t-elle amélioré cette prise en charge ?
Y. B. : Leur création a été un puissant stimulant : impossible de prendre en charge les problématiques de santé au travail sans aller voir au plus près de l'activité réelle des personnels. Nous savons d'expérience que ce travail syndical implique un gros investissement individuel et collectif en apprentissage et en formation. Les CHSCT ont poussé et aidé à cet effort.
Découvrir que les enseignants, les infirmières, les personnels administratifs, etc. s'engagent, chacun à leur façon, dans une activité qui n'est jamais une simple exécution de tâches prescrites, cela ouvre de nouvelles perspectives au travail syndical. Et c'est en même temps inconfortable. Que peut-on faire de ces découvertes sur le travail réel, de ces articulations entre le monde intime des individus au travail et le monde social ? Où commence le champ d'intervention du syndicat ? Ces questions génèrent hésitations et débats au sein des organisations syndicales.
Les autres instances représentatives du personnel sont-elles impactées ?
Y. B. : L'action des CHSCT est porteuse de renversements dans les pratiques syndicales. Les élus de CHSCT attendent que leur organisation syndicale s'engage sur le travail, les soutienne dans leur activité et fasse le lien avec les autres instances, où le travail et la santé devraient aussi se discuter. Prenons un exemple : des violences entre parents et enseignants éclatent dans une école. La santé et la sécurité des agents sont menacées. Quel travail syndical un élu de CHSCT peut-il développer ? En interne, une enquête de terrain. En externe, faire remonter des éléments de diagnostic. Mais aussi faire en sorte que la question soit examinée en comité technique départemental, sous l'angle des moyens, et en commission administrative paritaire, sous l'angle des conditions d'affectation et de décharge pour la direction de l'école.