On ne peut pas dire que les jeunes, quand ils parviennent enfin à poser un pied dans le monde du travail, se précipitent dans les bras des syndicats. Une enquête de l'Institut syndical d'études et de recherches économiques et sociales (Iseres) de la CGT estimait à 2 % le taux de syndicalisation des moins de 30 ans en 2000. Et rien n'indique que ce chiffre ait évolué à la hausse, tant les obstacles à l'adhésion des jeunes salariés s'avèrent importants. La précarité en est un. "L'adhésion syndicale suppose une stabilité professionnelle. Ce n'est qu'après quatre ou cinq ans en poste fixe, quand on a pris ses marques dans l'entreprise, que l'on envisage cette possibilité", observe Michel Vakaloulis, sociologue, auteur d'un récent ouvrage sur les formes d'engagement des jeunes actifs (voir "A lire"). La course difficile au contrat à durée indéterminée (CDI) accapare toute leur énergie. "Et pour le décrocher, ils comptent plus sur la débrouille que sur un appui collectif des syndicats estime Sophie Béroud, maître de conférences en sciences politiques à l'université Lyon 2.
Rien d'étonnant, puisque la plupart méconnaissent l'univers syndical, dont rien n'est enseigné à l'école. "Ils voient les syndicalistes comme des hommes barbus qui bloquent les trains !, résume Stephen Schoonbaert, secrétaire fédéral en charge du dossier jeunes à la Fédération CFDT communication, conseil, culture. Ils ne savent pas que les syndicats traitent de domaines variés, les rémunérations, la discrimination, les conditions de travail..." Un constat que partage Sabine Génisson, responsable des jeunes CGT : "Ce n'est pas leur capacité d'engagement qui est en cause, car beaucoup militent dans les ONG. Le syndicalisme souffre d'une mauvaise image." La faible implantation des syndicats, notamment dans les PME, n'améliore pas leur visibilité auprès des jeunes. Même si les organisations investissent les réseaux sociaux pour communiquer, la distance demeure : "Leur discours est extrêmement codé, avec des sigles qui rendent le message souvent incompréhensible pour les non-initiés, analyse Sophie Béroud. De même, les rivalités syndicales et les jeux d'acteurs sont un monde étranger pour les jeunes."
La santé au travail au second plan
Les attentes des nouveaux actifs ne diffèrent guère de celles des plus anciens : rémunération, emploi, statut. Toutefois, pour Michel Vakaloulis, les syndicats pourraient davantage s'intéresser à quelques-unes des préoccupations des jeunes, comme "l'accueil et l'intégration dans l'entreprise, l'information sur leurs droits, la constitution d'un réseau professionnel transversal". Et la santé au travail ? Elle n'est pas vue comme une priorité. "A cet âge, on s'investit dans son boulot et on se projette dans la vie, constate Stephen Schoonbaert. Les conditions de travail, aussi difficiles soient-elles, importent peu. Surtout parce que les jeunes ne pensent pas que des actions collectives peuvent être menées pour les changer." Mais aussi parce qu'"il faut du temps pour prendre conscience du lien entre mauvaises conditions de travail et mal-être", explique Sabine Génisson. Cependant, celle-ci précise que "la santé au travail peut constituer un point d'entrée du militantisme syndical chez les plus qualifiés ; en revanche, moins ils sont diplômés et plus ils sont éloignés d'un emploi stable, moins la revendication sur les conditions de travail constitue un enjeu pouvant conduire à l'engagement".
Le parcours de certains jeunes syndicalistes témoigne en ce sens. Déléguée du personnel (DP) à SoliCités, une association de développement durable d'une dizaine de salariés dans l'Essonne, Coralie Duby, 27 ans, militante chez Greenpeace, a été confrontée à la souffrance psychique au travail. Titulaire d'un master 2, elle a été recrutée en contrat à durée déterminée (CDD) en 2011 comme chargée de mission. "Au départ, j'ai consulté le syndicat Asso, affilié à Solidaires, pour des problèmes d'organisation du travail, notamment l'application des 35 heures. Je me suis syndiquée, mais j'ai été élue déléguée du personnel sans étiquette. Je trouve qu'il est nécessaire de faire respecter les droits des salariés, même dans une petite structure associative." Mais la situation sociale s'est dégradée : harcèlement moral, arrêts maladie pour dépression... La déléguée novice s'est investie avec beaucoup de rigueur. "Un diagnostic a été réalisé, amorçant quelques aménagements du travail. Nous avons posé un droit d'alerte en novembre 2012, informé l'Inspection du travail. Puis, comme rien ne bougeait, nous avons exercé notre droit de retrait en janvier dernier." Les huit salariés, dont Coralie, ont été licenciés dans la foulée. Elle n'est pas découragée pour autant et continuera à se syndiquer : "C'est fou de torpiller comme ça les salariés. Nous avons mené une belle lutte collective pour essayer de faire respecter leur santé."
Syndicalistes de père en fille
Pour Anabela Fernandes, 28 ans, déléguée syndicale CFDT dans un centre d'appels de Bouygues Télécom à Illkirch (Bas-Rhin) depuis 2012, après avoir été DP pendant six ans, l'action sur les questions de santé au travail est venue plus tard. "La reconnaissance des salariés, les rencontres lors des formations syndicales, le fait d'apprendre toujours, cela m'épanouit. Mon métier de conseillère clientèle, j'en ai fait le tour. C'est parce que je ressentais une frustration dans un travail où je n'évoluais pas que j'ai décidé de m'impliquer dans le syndicalisme." Avec un père maçon adhérent depuis trente ans à FO, "un modèle", la jeune femme embauchée en CDI en 2004 après son bac professionnel n'a pas eu de mal à franchir le pas. Depuis quelque temps, le sujet des conditions de travail vient en première ligne : "Les salariés subissent beaucoup de pression pour vendre ; le stress se traduit par un absentéisme qui s'accroît ; le plan social national dans les métiers réseaux va alourdir la charge de travail des techniciens restants. Mais il est difficile de faire évoluer la situation, car nous ne sommes pas majoritaires au CHSCT."
Un management arriéré, des opératrices malmenées, des conditions de travail se dégradant... ce sont ces raisons qui ont poussé Aziz Bouabdellah, 34 ans, à monter une cellule syndicale CGT, il y a sept ans. Après son bac professionnel, il a fait de l'intérim puis a été embauché il y a dix ans chez un fabricant de tubes à cigarette, employant 135 personnes près de Strasbourg. "Des copains adhérents à la CGT m'ont incité à faire quelque chose pour nos droits, de meilleurs salaires et les conditions de travail. C'est dans ma nature, j'avais été délégué de classe. J'ai alors créé la section, qui compte aujourd'hui 30 personnes. On s'est pas mal battus pour obtenir des aménagements de postes. L'absentéisme est élevé à cause des maladies professionnelles. Lors de la négociation en vue d'un accord senior, nous avons obtenu qu'un groupe de travail soit envoyé en formation à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail." Le cégétiste est maintenant détaché pour ses activités syndicales, à l'union départementale et à la Fédération de la métallurgie : "J'essaie d'y apporter la fraîcheur de la jeunesse !"