Dans votre livre Et pourtant je me suis levée tôt...,paru en 2008, vous décrivez les réalités du travail précaire pour une jeune salariée. Qu'est-ce qui vous a marqué ?
Elsa Fayner : Essayer de trouver un emploi stable, même payé au Smic, était très difficile pour quelqu'un comme moi sans CAP ni expérience professionnelle. Je me suis tournée vers l'intérim et on m'a proposé la télévente, un secteur où ma licence de philosophie ne valait rien. Là, quasiment aucun contrat pérenne, mais des contrats en alternance et des contrats d'insertion professionnelle intérimaire, essentiellement rémunérés par le fonds d'assurance formation des entreprises de travail temporaire. Nous arrivions par paquets de dix, à qui on faisait miroiter des CDI. A la fin, un seul était recruté.
Certains contrats n'étaient que d'une semaine et on ne savait que le vendredi si on revenait la semaine suivante. Il fallait réaliser 200 à 300 appels par jour, lire des textes, inscrire des réponses sans aucune initiative ni plaisir, à un rythme soutenu. Les jeunes ne souhaitaient pas rester, donc ne revendiquaient pas, ne se syndiquaient pas. Ensuite, j'ai enchaîné des CDDtemps partiel, comme vendeuse à la boutique suédoise d'un magasin Ikea. Le planning changeait tous les quinze jours, ce qui rendait impossible un autre temps partiel pour compléter ce type d'emploi, surtout occupé par des jeunes. J'ai enfin décroché un CDI comme employée d'étage dans un grand hôtel, un emploi pénible physiquement mais aussi mentalement en raison du climat de défiance que faisait régner le propriétaire.
Journaliste spécialisée sur les questions sociales, avez-vous constaté depuis une évolution dans l'accès des jeunes à des emplois de qualité ?
E. F. : La situation empire. Les CDD très courts explosent. L'intérim a reculé et offre peu de perspectives d'évolution, à moins d'être embauché chez le client. La restauration, elle, attire car elle permet d'évoluer, mais avec des horaires souvent décalés et à rallonge. C'est de plus en plus compliqué pour les jeunes, qui ne parviennent pas à se stabiliser dans un emploi. J'ai rencontré des jeunes femmes, écoeurées, envisageant de rester à la maison pour s'occuper de leur enfant.
Et dans le journalisme, comment débute-t-on ?
E. F. : Après mon diplôme de l'Ecole supérieure de journalisme de Lille et un stage d'été, comme beaucoup de jeunes, j'ai débuté à la pige
, avec certaines collaborations rémunératrices, d'autres aléatoires, mal et/ou tardivement payées. Certains magazines font tourner les journalistes pigistes et ne les font travailler qu'une fois, pour être sûrs qu'ils n'acquièrent pas de droits. Pendant trois ans, ça a été l'incertitude, avec des mois blancs. Je ne comprenais pas les refus, je me demandais ce qu'il fallait faire pour que ça marche. Mes parents ont dû m'aider pour mon logement. Puis je suis parvenue à un équilibre entre des collaborations régulières en presse spécialisée et des collaborations ponctuelles en télé et presse magazine m'assurant des revenus stables. En 2012, j'ai choisi d'intégrer une rédaction pour participer à un travail d'équipe. Dans mon entourage, quelques journalistes pigistes ont pu également intégrer des rédactions, mais d'autres ont arrêté le métier.