Aménagée dans les bâtiments d'une ancienne ferme sur le plateau de Millevaches, à Faux-la-Montagne (Creuse), Ambiance Bois est une société anonyme à participation ouvrière (Sapo). Un statut juridique rarissime en France. L'entreprise, créée en 1988 par un groupe de six jeunes amis fraîchement sortis de l'université, est spécialisée dans la fabrication et la vente de matériaux en mélèze de pays, l'éco-construction de maisons en bois, l'aménagement et la rénovation. La volonté de ses fondateurs, dont certains sont encore salariés de l'entreprise, était de vivre différemment un travail de production, en refusant les divisions traditionnelles décision/exécution, intellectuel/manuel. "Nous voulons prouver qu'il est possible de vivre positivement un travail qui bien souvent est vécu comme une peine", écrivaient-ils alors. Rêve utopiste ? L'entreprise fonctionne depuis près de trente ans et emploie aujourd'hui 25 salariés. Elle a conservé son organisation inédite : autogestion, absence de hiérarchie, salaires égaux pour tous quels que soient l'ancienneté ou les diplômes, polyvalence des tâches.
Si la qualité de vie au travail fut dès le départ une priorité pour les salariés d'Ambiance Bois, la santé et la sécurité n'ont pas toujours été une préoccupation majeure. Jusqu'à cet accident du travail dramatique, au cours de l'année 2005, dont les salariés parlent encore avec peine et émotion. Dans l'atelier de scierie, une jeune femme a été mortellement blessée sur une machine par le retour d'une planche de bois. "Nous avons failli fermer l'entreprise, tant le choc fut terrible", confie Claire Lestavel, salariée. Une enquête fut diligentée, qui a conclu à l'absence de responsabilité de l'entreprise. Les systèmes de sécurité de la machine en question étaient défaillants. Elle a été changée et l'entreprise a depuis investi pour renforcer la sécurité au travail, notamment sur les chantiers : échafaudages, chariot élévateur avec nacelle, atelier sécurisé pour la construction...
Prévention collective
En production, dans les ateliers de scierie ou de moulurage, mais aussi sur les chantiers, le risque d'accident est néanmoins toujours présent. "Si un salarié qui travaille dans un atelier ou sur un chantier dit qu'il est fatigué, nous lui conseillons de rentrer se reposer chez lui", indique Claire Lestavel. "Nous avons parfois des accidents du travail bénins, nous nous réunissons ensuite de manière à réfléchir collectivement à la façon de les éviter", ajoute Rémy Cholat, un autre salarié. Les documents d'évaluation des risques sont aussi élaborés de manière collective, ces réunions étant l'occasion pour les agents de réfléchir aux risques professionnels et à leur prévention. Certaines tâches en production sont éprouvantes physiquement, notamment le port de charges et les gestes répétitifs, et plusieurs salariés vieillissants ont développé des troubles musculo-squelettiques (TMS). L'entreprise s'est dotée de tables élévatrices dans les ateliers pour préserver leur santé. Des casques anti-bruit ainsi que des masques contre les poussières de bois sont également mis à disposition. "Nous suivons la législation en matière de sécurité au travail, et c'est une très bonne chose qu'elle soit de plus en plus contraignante", poursuit Rémy Cholat.
La polyvalence a été dès le départ au coeur du projet de création d'Ambiance Bois : il s'agissait pour tous de faire aussi bien du travail de bureau (vente, comptabilité, gestion...) que des tâches manuelles en atelier ou sur les chantiers. Et tous les salariés interrogés apprécient cette polyvalence des tâches. Elle permet d'éviter la monotonie des journées de travail ou le cloisonnement entre les différentes activités. Certains se sont formés sur le tas avec leurs collègues, d'autres ont suivi des formations, en fonction de leurs envies et des besoins de l'entreprise. "En début d'année, chacun exprime ses souhaits sur les tâches qu'il aimerait accomplir, et nous en discutons collectivement", explique Rémy Cholat.
Aujourd'hui, cette polyvalence permet aussi aux salariés plus âgés ou victimes de TMS de se consacrer à un travail de bureau moins pénible physiquement. Agé de 50 ans, Jean-François Boule souffre de tendinites et d'un déchirement du tendon de l'épaule suite aux manutentions du bois. Actuellement en mi-temps thérapeutique, il a été affecté à la comptabilité en raison de ses compétences en économie. "Du fait de son organisation très souple, l'entreprise s'adapte aux individus", note-t-il. Il regrette cependant qu'Ambiance Bois n'ait pas plus investi dans l'automatisation pour diminuer la pénibilité sur certains postes. Un sujet de débat. "Nous pourrions faire le même chiffre d'affaires à 5 personnes avec l'automatisation. Nos ateliers sont certes à l'ancienne, mais Ambiance Bois fait vivre 25 familles", soutient de son côté Claire Lestavel. D'autres agents précisent que les comptes de l'entreprise ne permettent pas l'achat de tels équipements.
Un autre rapport au travail
Le temps partiel, laissé au libre choix des salariés, constitue une autre forme de réponse aux contraintes du travail. Bien que les salaires soient modestes, aux alentours du Smic, la majorité des salariés a choisi de travailler à temps partiel"Certains s'occupent de leurs enfants ou construisent leur maison, d'autres sont engagés dans la vie associative. Ambiance Bois permet de travailler mais aussi de vivre autrement", remarque Rémy Cholat. Comme d'autres salariés, celui-ci gagne bien moins que lorsqu'il travaillait dans une entreprise classique. Mais pour lui, la souplesse qu'il a gagnée au niveau de son emploi du temps et le plaisir de travailler différemment compensent largement la faiblesse de son salaire.
L'autogestion est vécue pleinement au sein d'Ambiance Bois. Pour des raisons juridiques et de signatures, un PDG est nécessaire, mais il est tiré au sort tous les deux ans. Toutes les décisions sont prises collectivement, lors de réunions mensuelles, mais aussi chaque matin, où un temps de pause dédié d'une trentaine de minutes permet d'échanger autour d'un café. Il n'y a aucune hiérarchie, tous les salariés ayant le même poste d'agent d'usinage du bois. "Nous ne sommes pas en situation de simples exécutants, chacun a son mot à dire, ça change beaucoup de choses dans les rapports entre les uns et les autres", assure Marc Bourgeois, l'un des fondateurs de l'entreprise. "Nous n'avons pas le stress d'une autorité qui contrôle et sanctionne, c'est beaucoup plus serein", continue Jean-François Boule, qui a quitté une PME dans laquelle il était cadre en raison des pressions en matière de résultats. Laurence Breton, auparavant dans le commerce international, a elle aussi choisi de venir travailler à Ambiance Bois pour l'aventure humaine de l'autogestion. "Les conditions de vie au travail sont bien meilleures qu'ailleurs", résume Claire Lestavel. Et en dépit de petits salaires, aucun des salariés rencontrés n'envisage de retourner travailler dans une entreprise classique.