Comment les instances représentatives du personnel (IRP) pourraient-elles mieux participer au débat social dans l'entreprise sur les questions du travail ? Pour l'ensemble des organisations syndicales à qui nous avons posé la question, une réponse fait consensus : donner plus de poids au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Si ce comité a son mot à dire sur les évolutions qui ont un impact sur les conditions de travail et la santé des salariés, il garde néanmoins un arrière-goût d'instance subsidiaire. Sans oublier les CHSCT mis en place dans les fonctions publiques d'Etat et territoriale, qui ont toujours des prérogatives plus limitées que dans le privé.
Concertation pour la forme
" Il faut donner des moyens supplémentaires à ses membres, notamment en temps ", souligne Jean-Marc Bilquez, de Force ouvrière. Afin de rompre avec une approche hiérarchisée des IRP, les syndicats se prononcent aussi pour une élection directe des représentants du personnel au CHSCT. " Cette instance doit être hissée au même niveau que le comité d'entreprise et pouvoir disposer d'un budget de fonctionnement, afin de lui donner toute l'autonomie nécessaire ", ajoute Dominique Corona, de l'Unsa. Enfin, les organisations veulent améliorer la représentation de l'ensemble des salariés, que ce soit en abaissant de 50 à 20 salariés l'effectif requis pour la création du CHSCT ou via d'autres modes de représentation. " Dans le cas des très petites entreprises, explique Jean-François Naton, de la CGT, cela passe par des formes organisées de dialogue social au niveau d'un territoire, comme cela a été mis en place dans le centre commercial de La Part-Dieu, à Lyon. "
Pour autant, ce renforcement du CHSCT n'est pas une condition suffisante pour faire prospérer un débat autour du travail. " Commençons d'abord par faire respecter partout l'application du droit existant et ce sera déjà un progrès ", avance Jean-Marc Bilquez. Les organisations syndicales pointent l'absence d'un dialogue social de qualité sur la santé au travail, voire un déni de la part d'une partie du patronat sur ses responsabilités en la matière. " Certains considèrent, par exemple, que le stress est une problématique individuelle et ils réfutent toujours l'idée que les organisations ou les politiques de management puissent avoir des effets négatifs sur les conditions de travail de leurs salariés ", fustige Bernard Salengro, de la CFE-CGC. Pour les cabinets d'expertise, qui interviennent à la demande des CHSCT avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de travail, cette concertation préalable n'est bien souvent qu'un faux-semblant. " Tant que les enjeux ne dépassent pas le niveau du carreau cassé, il n'y a pas de problème, note Jean-François Perraud, du cabinet Aptéis. Mais dans les cas de changements importants, les membres du CHSCT doivent batailler pour avoir accès à l'information. Nous observons aussi des comportements de double jeu avec des directions qui procèdent à la mise en oeuvre des projets sans attendre la position des représentants du personnel. "
Comment sortir de ce semblant de dialogue ? Par plus de démocraties dans l'entreprise, répond Jean-François Naton : " Le fondement de la crise, c'est la perte du travail réel, qui pose la question de l'écoute. Il faut appliquer de manière effective un droit à la parole des salariés. Pour cela, il est important d'avoir des temps de pause pour permettre à la régulation sociale de prendre toute sa place. " Marcel Grignard, numéro deux de la CFDT, en appelle à une profonde rénovation, en repensant les prérogatives des instances représentatives : " Au même titre que l'entreprise fixe des objectifs de compétitivité, ses partenaires sociaux devront simultanément débattre de progrès sociaux à réaliser, en se référant à des indicateurs précis et propres à leur situation. Mettre un terme, par exemple, à l'apparition de maladies professionnelles. Pour conforter ce système, le social doit entrer dans les critères d'évaluation et de rémunération des dirigeants. Il faut également revoir le processus d'information et de consultation des instances pour en faire un vrai lieu d'échange et non une consultation formelle, ce qui suppose que les employeurs annoncent plus en amont leurs projets, avant qu'ils ne soient complètement ficelés. "
Droit de veto ?
Pour Jean-Claude Delgenes, du cabinet Technologia, expert auprès des CHSCT, c'est la notion même de consultation qu'il convient de revoir dans des cas particuliers : " Certains sujets, particulièrement impactants, méritent une plus grande participation des salariés aux processus décisionnels. A l'occasion des projets de déménagement, par exemple, lorsque le choix d'un lieu d'implantation allonge de manière significative les temps de transport d'un salarié sur deux, le CHSCT devrait faire valoir son refus. "
Davantage de moyens d'action pour l'Inspection du travail
Pour de nombreux inspecteurs du travail, les procès-verbaux qu'ils dressent ne sont pas traités par la justice à la hauteur des enjeux qu'ils représentent pour la prévention des risques professionnels. " Dans certains départements, nous rencontrons toujours des difficultés pour faire condamner les employeurs délinquants ", raconte Pierre Mériaux, membre du bureau national du Syndicat national unitaire travail-emploi-formation-économie (SnuTefe-FSU). Pour renforcer l'effectivité du droit du travail, les inspecteurs ont formulé plusieurs propositions, présentées lors des états généraux de leur corps. Il s'agit notamment d'étendre la procédure d'arrêt immédiat des travaux à toutes les situations de danger grave et imminent, comme cela existe déjà pour les chantiers du bâtiment ou de désamiantage. Deuxième proposition, mettre en place un système d'injonction de faire. Par décision administrative, l'agent de contrôle pourrait enjoindre l'employeur de mettre fin à une situation présentant des risques pour la santé au travail. Troisième piste : informer les salariés de l'action de l'Inspection du travail en affichant les courriers envoyés à l'employeur sur les panneaux de l'entreprise. Pour Martine Millot, membre de l'association L. 611-10, regroupant inspecteurs et contrôleurs, le développement des risques psychosociaux nécessite aussi d'insérer dans le Code du travail une disposition prévoyant que l'organisation du travail et les modes de gestion ne doivent pas mettre en danger la santé et la sécurité des travailleurs, et d'assortir cette obligation de sanctions pénales.
L'union syndicale Solidaires est quant à elle favorable à la création d'un droit de veto et milite pour une extension du droit d'alerte, " dont les conditions d'utilisation sont trop restrictives ", considère Eric Beynel. S'inspirant des grandes affaires de santé publique comme l'amiante, les éthers de glycol ou le Mediator(r), portées à la connaissance du public par des chercheurs ou des médecins, l'union syndicale souhaite que les salariés puissent lancer des alertes auprès des autorités sanitaires lorsqu'ils ont connaissance, dans leur entreprise, de l'existence de risques graves pour la santé. " Il faudrait que ces personnes bénéficient d'une protection spéciale pour les mettre à l'abri de toutes pressions ", précise Eric Beynel.