Le médecin du travail a pour mission et utilité sociale d'assurer le diagnostic des atteintes à la santé du fait du travail, d'en témoigner et de permettre leur prévention individuelle et collective. Il y engage sa responsabilité de médecin, dont la mise en oeuvre est réglementée et protégée juridiquement. Il peut être amené à en répondre devant la justice. Si besoin est, afin de protéger les droits et la santé des salariés, il peut également attester médicalement le lien entre leurs pathologies et le travail. Or le cadre d'exercice actuel de cette profession ne permet pas de mener correctement toutes ces missions.
Face à la crise du travail et ses effets délétères, notre société, par un débat démocratique, doit clarifier ou redéfinir le dispositif légal encadrant le suivi médical des travailleurs. Cette question relève de l'intérêt général et dépend des missions régaliennes de l'Etat. La médecine du travail doit notamment se voir confier une mission de prévention d'ordre public, se déployant exclusivement du côté de la protection de la santé des travailleurs. Et l'activité de tous ses membres - médecin ou infirmier du travail, autres métiers de prévention - doit relever des obligations prévues par le Code de la santé publique. En conséquence, toute coopération avec des organismes tiers ou des intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP), chargés de conseiller les entreprises pour y évaluer les risques et élaborer des propositions d'amélioration, devrait être encadrée juridiquement afin d'éviter tout conflit d'intérêts et respecter le statut de chacun.
Veille et alerte
Pour participer pleinement au débat social sur les risques dans l'entreprise, le médecin du travail doit aussi pouvoir construire un système de veille médicale en santé au travail, sur lequel il garde la main, et en présenter les résultats aux élus du personnel. Il doit disposer d'un cadre légal pour lancer des alertes médicales concernant les risques pour la santé mentale, physique et sociale des salariés ou les expositions à des cancérogènes, ainsi que pour déployer les mesures de sauvegarde médicale individuelles ou collectives nécessaires.
Il est normal que le financement de cette médecine du travail renforcée soit assuré par les employeurs, dès lors qu'ils sont responsables des éventuelles atteintes à la santé. Mais il faut éviter qu'ils continuent à intervenir majoritairement dans sa gouvernance. Le contrôle social exercé par les représentants des salariés doit garantir l'indépendance d'action des professionnels et faciliter la prise en compte des besoins concrets en santé au travail. Quant au rôle des directions des services de médecine du travail, il doit se résumer à la mise à disposition des moyens nécessaires à l'accomplissement des missions des équipes médicales.
Reste à trancher quant au sort du suivi médical individuel. Il faut le maintenir. Cette pratique est invisible au-delà de la personne concernée, mais demeure nécessaire pour éviter une médicalisation excessive par des traitements pharmacologiques ou des arrêts maladie à répétition, qui n'entraînent pas une restauration de la santé au travail. En outre, elle permet au médecin du travail d'accompagner les collectifs ou petites communautés de travail. A partir des notes cliniques recueillies au fil des consultations, il peut ébaucher des pistes de compréhension sur les effets délétères d'organisations ou de relations du travail et ainsi rendre compte des causes professionnelles des souffrances psychiques ou des troubles musculo-squelettiques.