Avec Yves Clot, responsable de la chaire de psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), et Alain Berthoz, professeur honoraire au Collège de France, vous avez organisé le 2 décembre au Sénat le colloque " Soigner le travail : un enjeu politique, scientifique et artistique ". Quel était le sens de cette journée ?
Jack Ralite : Les recherches sur le travail, spécialement au Cnam, ont beaucoup avancé ces dernières années. On sort d'une traversée du désert, pendant laquelle beaucoup d'idées fantaisistes ont circulé, y compris celle de la fin du travail. Les ouvriers comme les cadres sont livrés au management financiarisé, qui empêche le travail bien fait, qui pille l'intelligence des uns et des autres sans qu'ils soient associés à la définition de ce qu'ils produisent et comment ils le font. La souffrance des salariés ne peut être vraiment traitée sans une transformation du travail. C'est ce bagage intellectuel que nous avons voulu mettre en discussion entre les acteurs concernés : syndicalistes, dirigeants d'entreprise ou d'administration, consultants, médecins du travail... Il est temps que la société civile, notamment les responsables politiques, s'empare de cette pensée étayée.
Les responsables politiques en prennent-ils conscience ?
J. R. : Pas suffisamment, car ils ne sont pas assez à l'écoute. J'ai été frappé, lors du débat au Sénat sur la réforme des retraites de 2010, qu'aucune intervention, sauf la mienne, n'ait porté sur le travail. Parce que les travailleurs n'y respirent plus, ils n'ont qu'une hâte : en sortir. Ce qui fait que la retraite perd sa fonction sociale d'origine ; elle devient un médicament. Or on ne peut profiter pleinement de la liberté de la retraite si la liberté a été mutilée pendant le temps passé à travailler.
Malheureusement, le monde politique est peu loquace sur la question du travail. Les rapports produits sont aussitôt classés sans suite. Pourtant, dans le rapport Bien-être et efficacité au travail de février 2010 commandé par le Premier ministre, le président du conseil de surveillance de Schneider Electric, Henri Lachmann, disait qu'" en France, la fierté du travail bien fait occupe une place importante ". Il proposait de " donner aux salariés les moyens de se réaliser " et de renforcer l'implication des partenaires sociaux à travers les instances représentatives. Preuve qu'il est possible de trouver des convergences avec les employeurs ou, du moins, avec les industriels, ceux qui connaissent les gestes du travail.
Quelles seraient les mesures de nature à améliorer la situation ?
J. R. : Il faut introduire le travail dans la négociation collective, sous une forme qui reste à inventer, afin que patrons et travailleurs en discutent régulièrement et concrètement. Les lois Auroux avaient entrouvert une porte, mais il manquait un mûrissement pour que les acteurs les fassent vivre. Celui-ci est aujourd'hui apporté par les recherches sur le travail. Quand j'entends Alain Minc dire que " le marché est naturel comme la marée " ou Alain Madelin affirmer que " les nouvelles technologies sont naturelles comme la gravitation universelle ", je frémis à cette pensée qui naturalise les objets et chosifie les hommes. Parce qu'elle nourrit un fatalisme impropre à faire bouger la situation actuelle. Le rôle des hommes politiques est de s'occuper de la vie de leurs concitoyens, et donc de leur travail. Je ne comprendrais pas que cette question centrale pour le présent et l'avenir ne soit pas abordée lors des débats de la campagne présidentielle.