Pensez-vous que les syndicats de la fonction publique ont privilégié ces dernières années la défense du statut des fonctionnaires à celle des conditions de travail, à l'instar de ce qui s'est passé dans le privé avec l'emploi ?
Catherine Vincent : Dans la Fonction publique d'Etat, domaine sur lequel je me suis penchée particulièrement, l'action syndicale est surtout défensive. Mais ces deux types de défense ne sont pas incompatibles. Jusqu'à récemment, l'action syndicale s'est davantage portée sur le salaire, le maintien de l'emploi et le statut de la fonction publique que sur les questions de conditions de travail, ce qui ne veut pas dire que les syndicats les négligeaient. Ces dix dernières années précisément, les organisations syndicales ont eu à faire face à une réforme profonde de l'organisation de l'Etat, mais aussi à une maîtrise des déficits budgétaires qui s'est caractérisée par une réduction des effectifs et des moyens de l'administration.
La charge de travail supplémentaire imposée aux salariés restés en poste s'est développée, alors qu'en parallèle un autre mouvement s'est opéré : celui des pressions liées à l'accroissement de la performance dans l'organisation du travail. C'est ce qu'on appelle le "new public management avec ses indicateurs quantitatifs ou ses demandes de reporting, assez similaires à ceux du privé. Les syndicats ont récemment pris conscience que ces modes de management pouvaient générer des contraintes, du stress et des risques psychosociaux pour les fonctionnaires.
Leur réponse s'est orientée sur un allégement des contraintes, par une révision des indicateurs, une réorganisation des services et une redéfinition des missions. Et, chose très importante pour les agents de la fonction publique, qu'ils puissent continuer à remplir des tâches de qualité. Plus par réalisme que par défaitisme, les organisations syndicales se sont rendu compte qu'elles n'arrivaient pas à empêcher les réductions d'effectifs, inévitables depuis dix ans. Par conséquent, elles se sentent un peu plus concernées par l'impact de ces organisations du travail sur les fonctionnaires, à savoir le stress au travail. Et je dirais que, sur ce terrain-là, les syndicats sont plus écoutés que sur celui du maintien de l'emploi, qui relève purement des décisions politiques.
L'accord du 20 novembre 2009 sur la sécurité et la santé au travail dans la fonction publique peut-il renforcer l'intervention des organisations syndicales sur ces questions ?
C. V. : Je pense qu'il le peut, car c'est le premier accord jamais conclu sur la santé au travail dans la fonction publique. En transformant les CHS en CHSCT, il attribue aux organisations syndicales de nouvelles prérogatives concernant les conditions de travail, la santé et la sécurité au travail. La question maintenant est : comment vont-elles s'en emparer ?
Parallèlement aux syndicats, il y a, cela dit, une évolution qui se fait sentir et qui vient cette fois du côté de la direction générale de l'Administration et de la Fonction publique, ou des directions de chaque ministère. Pour régler ces questions de stress, de santé au travail et de risques psychosociaux, elles ne font pas appel au canal syndical mais à des expertises extérieures, ou bien elles communiquent directement avec les salariés. Or, en court-circuitant ainsi les syndicats, elles ne peuvent toutefois pas ignorer leur position, car la concertation reste tout de même un passage obligé.