Le centre hospitalier dédié aux troubles du sommeil que vous dirigez s'intéresse-t-il aux conditions de travail ?
Damien Léger : Nous avons ouvert une consultation spécifique de pathologies professionnelles intitulée "sommeil, vigilance et travail", quasiment dès la création du Centre du sommeil et de la vigilance au sein de l'AP-HP [Assistance publique-Hôpitaux de Paris, NDLR]. Depuis une vingtaine d'années, le centre a une triple vocation de soins, recherche et enseignement. Nous sommes intéressés en particulier par les liens entre travail et rythmes veille-sommeil.
Vos recherches confirment-elles l'impact du travail sur le sommeil ?
D. L. : Oui, en particulier pour les salariés en travail de nuit ou posté, ainsi que pour les travailleurs indépendants de la restauration, des services et du spectacle. Plusieurs millions de personnes vivent un décalage de leur horloge biologique, ont peu de possibilités de se reposer dans la journée et, par conséquent, éprouvent de grandes difficultés pour dormir.
On estime que ces travailleurs perdent une heure de sommeil chaque jour par rapport aux salariés travaillant en journée. Ils accumulent une dette de sommeil d'une nuit par semaine et de quarante nuits par an. Les conséquences à court terme se manifestent par des troubles du sommeil variés : insomnies, terreurs nocturnes, somnolences plus ou moins sévères au cours de la journée de travail, avec un risque élevé d'accident au moment de rentrer chez soi. Et à long terme, ce sont des risques pour la santé : obésité, diabète de type 2, cancer du sein et troubles de la santé mentale.
Comment abordez-vous cette question avec vos patients ?
D. L. : Parmi les 18 praticiens qui reçoivent en consultation, plusieurs sont médecins du travail à l'origine. Ils explorent les conditions de travail, surtout quand les personnes sont hospitalisées. Nous utilisons des questionnaires et outils validés au niveau international. Le patient remplit un agenda du sommeil. Nous l'interrogeons aussi sur son horloge biologique et, en cas d'anxiété, utilisons un questionnaire spécifique. Si nécessaire, nous avons recours à la polysomnographie, qui consiste à enregistrer une nuit complète de sommeil à l'aide d'électrodes. Cela donne une idée précise de la quantité et de la qualité du sommeil. Le salarié peut aussi porter un actimètre, montre qui enregistre ses phases d'activité et de repos jour et nuit, pendant deux semaines de travail.
Quelles pistes de prévention proposez-vous vis-à-vis du travail ?
D. L. : Nous dispensons des formations en entreprise sur les horaires décalés, le travail posté et de nuit, auprès des médecins du travail comme des salariés. On apprend à ces derniers à faire des siestes ou à se remobiliser en cas de somnolence. Au sein de l'AP-HP, nous menons aussi une réflexion afin que le personnel travaillant de nuit utilise les pauses de 30 minutes pour faire des siestes. Sur le travail de nuit, nous avons mis au point des brochures décrivant ses effets sur la santé à long terme.
Notre laboratoire a d'ailleurs coordonné l'élaboration des recommandations de la Société française de médecine du travail sur le suivi des travailleurs de nuit et postés, avec le soutien de la Haute Autorité de santé. Et je participe au groupe de travail "horaires atypiques" de l'Agence nationale de sécurité sanitaire, qui devrait remettre son rapport en fin d'année.