© Johan Keslassy

Conduite du changement : jamais sans les salariés

par Nathalie Quéruel / juillet 2021

Déménagement d’un site, installation de nouvelles machines, mise en place du télétravail, réorganisation de services, restructuration… Les entreprises sont comme des organismes vivants, en perpétuelle transformation. Bien souvent, la conduite du changement est pratiquée de façon verticale, prérogative de la direction qui met sur la table un projet déjà ficelé sur lequel le CSE est consulté de façon formelle, sans pouvoir réellement intervenir. Et si les salariés formulent des réserves, ce n’est que la manifestation d’une « résistance au changement » qu’il s’agit de surmonter bien vite à grand renfort de tours de passe-passe managériaux. Il est temps de changer d’approche. Toute transformation, parce qu’elle entraîne des effets majeurs sur le travail, ne peut se passer de l’expérience de ceux qui le font. Au risque de rater ses objectifs, détériorant tout autant la performance de l’organisation que les conditions de travail. Que les salariés deviennent acteurs du changement ne relève pas de l’utopie. Chaque projet, y compris le plus modeste, est une occasion de l’expérimenter. Ce dossier montre comment il est possible de construire cette participation, d’organiser l’expression de chacun sur son activité quotidienne, de structurer l’action du CSE pour qu’il pèse davantage sur les choix. Une démarche d’autant plus nécessaire qu’elle est un gage de la préservation de la santé.

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Quelle stratégie lors de la consultation du CSE ?

par Catherine Jordery-Allemand, Experte CSE/CHSCT Franck Héas, professeur de droit privé à l’université de Nantes / juillet 2021

C’est l’une des prérogatives fortes des élus du personnel : être consultés avant toute modification importante des conditions de travail et rendre un avis après avoir éventuellement fait réaliser une expertise. Une occasion à saisir pour peser sur les projets.

Ils ne sont ni décideurs, ni ergonomes, ni même opérateurs directement concernés par les projets de transformation du travail. Pourtant, leur implication et leur avis peuvent être déterminants dans la réussite d’une réorganisation, d’un déménagement, d’un changement de technologie ou l’implantation d’une nouvelle machine, d’un nouvel atelier, etc. Ils (ou elles), ce sont les représentants des salariés, élus des CSE, qui ont leur mot à dire – la loi prévoyant qu’ils soient obligatoirement consultés. Mais au-delà de cet aspect formel, comment apporter un éclairage intelligent et utile sur un projet ? A quel moment ? Selon quelles modalités ? Autant de questions dont les réponses ne figurent pas forcément dans le Code du travail et qui nécessitent de s’inscrire dans une stratégie visant à préserver ou améliorer les conditions de travail. Car si le droit organise en effet un certain nombre de dispositifs mobilisables au sein de l’entreprise qui mute, la multiplicité des voies d’association des salariés rend parfois l’exercice complexe, l’information n’étant pas toujours claire, pertinente et/ou accessible.
Sur le plan juridique, l’information- consultation du CSE, la négociation obligatoire au fil de l’eau ou à froid, ou encore l’information des représentants du personnel en cas de restructuration (voir article page 40) apparaissent comme des éléments essentiels permettant d’assurer la participation de ces derniers aux phases de transformation d’une organisation. Dans les structures de plus de 50 salariés, le comité dispose en effet de compétences larges : droit d’alerte économique sur des faits affectant de manière préoccupante la situation financière de l’entreprise ; présence de certains élus, avec voix consultative, aux réunions des conseils d’administration ou de surveillance ; accès aux documents qui sont communiqués aux associés d’une société anonyme ; recours possible à un expert. En revanche, dans les entités de moins de 50 personnes, le CSE n’a pas la personnalité juridique : il ne peut pas diligenter d’expertise et n’a pas un droit à l’information aussi étendu.

Connaître les orientations stratégiques de son entreprise

C’est donc d’abord par l’intermédiaire de la procédure de l’information-consultation, souvent menée au niveau central, que les représentants des salariés doivent être régulièrement associés au fonctionnement de l’organisation et à ses évolutions (voir encadré page 35). Ainsi, lorsqu’une entreprise envisage un changement de cap conséquent, celui-ci doit être présenté pour avis aux élus, dans le cadre de l’information-consultation portant sur les orientations stratégiques. Celle-ci se tient en principe une fois par an mais, par accord entre les partenaires sociaux, il peut être décidé qu’elle n’ait lieu que tous les trois ans. C’est cependant un choix qui risque de priver le CSE de leviers d’action sur toute décision se produisant dans l’intervalle ; mieux vaut donc garder sa fréquence annuelle.
Lors de cette procédure, les représentants du personnel ont toute légitimité pour interroger l’employeur sur la nature, le nombre et le planning des projets qui seront la traduction sur le terrain des décisions stratégiques. Chacun d’entre eux, quand il entraîne des modifications – horaires, lignes de productions, effectifs, lieu de travail, organisation, compétences des salariés… –, doit être suivi d’une information-consultation spécifique, dans le CSE local correspondant à l’établissement concerné, de manière à ce que les transformations de l’activité elle-même soient étudiées avec les travailleurs concernés. Dans l’avis rendu lors de l’information- consultation portant sur les orientations stratégiques, les élus peuvent demander une planification de ces rendez-vous à venir. Cette information-consultation générale ne se substitue pas en effet à celle consacrée à chacun des « projets importants » qu’elle implique.
D’autres questions importantes se posent alors en termes de stratégie. A quel moment placer l’information-consultation spécifique à chaque projet ? Très en amont, avec le risque de ne disposer que de peu d’informations mais l’avantage d’avoir des marges de manœuvre potentielles sur la mise en œuvre ? Ou plus tardivement, au moment où la connaissance du projet est plus développée mais avec l’inconvénient d’avoir moins de latitude pour faire bouger les lignes d’une transformation déjà bien engagée ?
Au-delà, plus un changement est considérable et réclame un temps long de préparation, plus il semble pertinent que le CSE soit mis dans la boucle au plus tôt. Certaines entreprises, convaincues que la réussite de leurs desseins ne peut que passer par un dialogue social nourri et constructif, vont au-delà des obligations légales. Elles s’engagent dans la signature d’un accord de méthode qui prévoit une information-consultation sur leurs projets en plusieurs étapes, et donc une participation des représentants des salariés à différentes phases de la réflexion : expérimentation, groupes pilotes, généralisation, etc. Dès lors, ces derniers ont la possibilité d’exprimer leur avis tout au long du processus et il est toujours temps d’en tenir compte. Lorsqu’un expert est nommé par le CSE dans un tel cadre, il peut aussi les accompagner sur la durée.
Cette démarche fait le pari d’une certaine coconstruction ; elle requiert toutefois du temps pour associer les diverses parties prenantes. Logiquement, elle concerne avant tout des projets d’envergure ou des déménagements, qui nécessitent plusieurs séquences d’information- consultation du CSE.

Du bon usage de l’accord de méthode

La négociation collective, moment certes de confrontation mais aussi d’arbitrage et de compromis, est également un rouage essentiel dans les transformations. La loi impose tout d’abord à l’employeur d’ouvrir des discussions régulières sur les salaires, le temps de travail, le partage de la valeur ajoutée, l’égalité professionnelle, la qualité de vie au travail et, dans les entreprises d’au moins 300 salariés, la gestion des emplois et des parcours professionnels. Il est possible d’aller au-delà, là encore, avec par exemple la signature d’un accord de méthode permettant aux organisations syndicales représentatives d’organiser la diffusion d’éléments d’information portant sur un projet. Ce qui renforce la connaissance sur les évolutions en cours, et la qualité du dialogue social.
Un autre outil intéressant pourrait être davantage utilisé : la base de données économiques et sociales (BDES), qui doit être régulièrement mise à jour. Par ce biais, les représentants des salariés ont accès à certaines informations, notamment les investissements, les fonds propres et l’endettement, la rémunération des dirigeants, les flux financiers à destination de l’entreprise, la sous-traitance ou encore les éventuels transferts commerciaux et financiers entre les entités d’un groupe. Malheureusement, ces données ne sont pas toujours disponibles. En réalité, la BDES est peu actualisée. Comme elle se présente encore parfois sous la forme d’un document imprimé, elle n’est pas consultable électroniquement à tout moment. Et tout ajout n’est pas communiqué aux élus, sauf précision dans l’accord de fonctionnement du CSE, alors même que ceux-ci ne peuvent pas passer leur temps à surveiller l’arrivée d’une nouvelle information.
L’avis rendu par les élus lors d’une consultation sur un projet important revêt en tout cas une portée particulière, et la plus grande attention doit lui être accordée. Précisons que le Code du travail n’indique pas qu’il consiste à dire « oui » ou « non » à un projet ou qu’il doit comporter la mention « favorable » ou « défavorable », contrairement à ce qu’affirment certaines directions. Cet avis doit être argumenté, d’où parfois l’intérêt d’une expertise en amont. Il peut souligner des questions non résolues, lister des points de vigilance, valider certains éléments, avancer des propositions complémentaires ou alternatives. L’avis est celui du CSE, donc il est unique et commun à l’ensemble des élus. Pour marquer son caractère officiel et juridiquement valable, il faut qu’il soit voté et qu’il figure au procès-verbal.
Au-delà, les représentants du personnel ont tout intérêt à lui donner une seconde vie, en l’utilisant pour communiquer leur point de vue et leur action aux salariés ou en faire un point d’ancrage, permettant de suivre dans le temps et au plus près du terrain la mise en œuvre du projet. Si cet avis comporte des questions à l’employeur, celui-ci est tenu d’y répondre lors d’une réunion ultérieure du CSE. Enfin, si ce document met en garde contre des changements potentiellement délétères pour la santé des salariés, la responsabilité de l’entreprise s’en trouvera d’autant plus engagée lors d’une éventuelle procédure judiciaire.

La jurisprudence du Code du travail
Catherine Jordery-Allemand, Experte CSE/CHSCT Franck Héas, professeur de droit privé à l’université de Nantes

La consultation du CSE, pour recueillir son avis à certains moments-clés de la vie d’une entreprise, est soumise à des dispositions du Code du travail. Elle n’est donc pas laissée à l’appréciation de l’employeur et a fait l’objet d’une jurisprudence abondante. Ainsi, l’article L. 2312-8 précise que « le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise ». Parmi les situations énumérées par ce texte, on retiendra notamment le quatrième point : « L’introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail. »
Toute la question est de savoir ce que l’on entend par « tout aménagement important modifiant les conditions de travail ». Une chose est sûre : ce n’est pas parce qu’une minorité de salariés est concernée par des changements que l’avis de l’instance n’est pas requis, selon un arrêt du 10 février 2010 de la chambre sociale de la Cour de cassation. On notera également que la modification des conditions de travail justifiant une consultation revêt un caractère assez large. Par exemple, une nouvelle procédure d’évaluation des salariés avec des entretiens annuels nécessite une consultation du CSE (arrêt du 28 novembre 2007 de la chambre sociale de la Cour de cassation). Il en va de même pour la mise en place d’un nouvel outil de gestion et de mesure du temps de travail, « susceptible de porter atteinte à la santé des salariés par le nombre d’heures supplémentaires effectuées » (arrêt du 26 novembre 2020 de la chambre sociale de la Cour de cassation).
La consultation récurrente du CSE sur les orientations stratégiques de l’entreprise, sa situation économique et financière, sa politique sociale, ainsi que les conditions de travail et l’emploi est prévue à l’article L. 2312-17 du Code du travail. Enfin, l’article L. 2312-37 impose également la consultation du CSE, notamment s’agissant des moyens de contrôle des salariés ou en cas de restructuration, de compression d’effectifs ou de licenciement collectif.

Repère
  • Quand et comment recourir à un expert ? C’est l’une des marges de manœuvre du CSE : le recours à un expert habilité, pour se faire assister lors d’une consultation sur un projet de transformation ayant un impact sur les conditions de travail, est prévu par l’article L. 2315-94 du Code du travail. Ce n’est pas une fin en soi, mais ce dispositif s’avère souvent précieux pour les représentants du personnel. Ils auraient donc tort de s’en priver. Pour les modalités, voir les pages « Pratique » de Santé & Travail d’avril 2021 (n° 114).