La fusion des instances représentatives élues du personnel en une institution unique ne peut avoir été réalisée à droit constant, dès lors que le champ de la loi a été réduit et que le périmètre de la négociation collective a été, à l’inverse, étendu. Alors que la législation réglementait avec précision l’instauration, le fonctionnement et les attributions des anciens DP, CE et CHSCT, ce n’est plus le cas avec le comité social et économique (CSE), dont le cadre d’action relève, pour une grande part, de la négociation collective. Les ordonnances de septembre 2017 s’inscrivent ainsi dans la lignée de la loi travail de 2016, qui avait initié le système « ordre public/négociation collective/dispositions supplétives » en matière de durée du travail ; elles reprennent ce triptyque pour la représentation élue des salariés.
Triomphe de la norme négociée
La loi fixe des principes d’ordre public qui ne peuvent être contournés ; par exemple, le CSE doit être mis en place au niveau de l’entreprise. La voie de la négociation collective permet d’ajuster le fonctionnement de cette instance à l’environnement de la société, ses spécificités et ses contraintes ; par exemple, le nombre et le périmètre des établissements distincts peuvent faire l’objet d’un accord entre les partenaires sociaux. Enfin, à défaut d’aménagement conventionnel, le Code du travail prévoit l’application de dispositions subsidiaires ; par exemple, en l’absence d’accord, l’employeur fixe unilatéralement le nombre et le périmètre des établissements distincts, compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de ressources humaines. C’est, par conséquent, un important dessaisissement de la législation au profit de la norme négociée en entreprise qui a eu lieu en 2017 concernant la représentation du personnel.
La loi est devenue largement supplétive quant aux relations collectives de travail. Au-delà des contraintes générales encadrant le CSE, il est désormais possible d’organiser sa mise en place sur une base conventionnelle. L’accord d’entreprise doit nécessairement être majoritaire ; s’il n’y a pas de délégué syndical, un accord entre l’employeur et le CSE doit être adopté à la majorité de ses membres titulaires. Toutefois, dès lors que la loi ne l’exclut pas, un accord de branche peut organiser le fonctionnement de la nouvelle instance. C’est le cas dans quelques rares secteurs d’activité – celui de l’industrie et du commerce en gros des viandes notamment. Cette éventualité s’avère cependant limitée : les dispositions d’entreprise demeurent toujours supérieures à celles de la branche, même si celles-ci sont plus favorables. Ces dernières peuvent présenter un intérêt sur les points qui ne sont pas couverts par la législation et sur lesquels la négociation aura pu être silencieuse : heures de délégation des représentants syndicaux au CSE dans les entreprises de moins de 500 salariés, montant minimum pour les attributions sociales et culturelles du CSE…
La loi continue néanmoins d’imposer un certain nombre d’éléments constitutifs du CSE, qui ne sont pas ouverts à la négociation : les seuils d’effectifs de 11 ou 50 salariés, les attributions générales, le droit d’alerte, la participation aux conseils d’administration ou de surveillance des sociétés, la gestion des activités sociales et culturelles, la composition de l’instance, la procédure électorale, la subvention de fonctionnement, les obligations comptables, les heures de délégation et autres prérogatives des représentants élus – déplacement, circulation, affichage, local et formation. Pour autant, et c’est là un changement de paradigme conséquent, de nombreux autres points peuvent aujourd’hui relever d’un accord. Ce nouveau primat de la négociation d’entreprise relative au CSE concerne les consultations et informations récurrentes ou ponctuelles, le nombre et le périmètre des établissements distincts, les expertises, le financement par l’employeur des activités sociales et culturelles, la possible réduction de la durée du mandat des salariés élus ou l’éventuelle création de commissions supplémentaires pour l’examen de sujets particuliers. Plus précisément, un accord peut ainsi définir le nombre annuel de réunions du CSE (qui ne peut être inférieur à six) ; fixer la périodicité, le contenu et les conditions des consultations récurrentes et, dans les grands groupes, les niveaux auxquels celles-ci sont conduites ; décider les délais dans lesquels le comité rend ses avis ou prévoir qu’il n’émette qu’un avis unique sur tout ou partie des thèmes de consultation obligatoire. L’organisation, l’architecture, le contenu et les modalités de fonctionnement de la base de données économiques et sociales sont également ouverts à la négociation. De même, la décision d’instaurer des représentants de proximité dans l’entreprise ressort de la seule initiative des interlocuteurs sociaux, qui en déterminent le nombre, les attributions, le mode de désignation et les heures de délégation.
Les compétences des élus du personnel sont aussi un possible sujet de négociation en matière de santé au travail. En effet, s’agissant de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) créée au sein du comité à partir de 300 salariés, il revient aux dispositions conventionnelles d’en établir les points essentiels : le nombre de représentants composant ladite commission, les missions que lui délègue le CSE, les modalités de son fonctionnement et de l’exercice de ses missions – en particulier les heures de délégation de ses membres, les moyens qui lui sont alloués, la formation des élus qui y siègent, ceux-ci ayant besoin de connaissances spécifiques.
Une forme de paradoxe
Le fait que ce n’est plus la loi mais la négociation collective qui, principalement, dessine le cadre juridique des instances représentatives du personnel correspond à une extension du « phénomène de procéduralisation » du droit du travail, ainsi que le juriste Alain Supiot, professeur émérite au Collège de France, l’a observé il y a plusieurs années : en retrait, la loi n’impose plus que des règles générales, principes directeurs et procédures ; ce sont les négociateurs d’entreprise qui sont à la manoeuvre pour élaborer les normes concrètes et opérationnelles de la représentation des salariés. Ce changement entraîne une conséquence directe et inévitable : l’existence de comités sociaux et économiques à géométrie très variable dans les entreprises. Certes, d’un certain point de vue, la négociation collective permet sans doute, et parfois favorablement, d’adapter le CSE à la situation propre et aux contingences de chacune (effectifs, secteur d’activité, implantation, gouvernance ou concurrence).
Reste que les ordonnances travail consacrent une mise en place modulable de la nouvelle instance. Et il est à craindre une grande variété ainsi qu’une dispersion de ses modes de fonctionnement. Ce resserrement au niveau micro de l’entreprise, qui met à distance l’interprofessionnel et les branches, peut paraître paradoxal alors que le nombre d’élus diminue et que les questions qu’ils doivent prendre en charge sont plus larges, complexes et diversifiées, intéressant l’emploi, l’économique, le social, mais aussi la santé au travail.
Une articulation plus soutenue avec les branches aurait permis une meilleure répartition des compétences qu’actuellement. Ainsi peut-on juste titre se demander si ce passage de la règle générale à la norme d’entreprise est bien pertinent pour une prise en compte transversale de la santé au travail par les représentants élus du personnel.