Un examen des ordonnances travail conduit à observer que les réformes adoptées ignorent des questions essentielles que posent les transformations des modèles productifs. La fusion des instances représentatives du personnel (IRP), centrée sur la dimension « horizontale » de l’unification des CE, CHSCT et DP, en est une illustration. Elle ne remédie pas à l’éloignement de plus en plus fréquent entre les représentants et les collectifs de travail, loin s’en faut, ainsi que le montrent d’autres articles de ce dossier. Et va même à l’encontre de la justification des ordonnances, à savoir adapter les règles au plus près des spécificités concrètes des rapports de travail.
Ainsi fut tranché un ancien débat, qui portait sur l’opportunité d’une spécificité française, c’est-à- dire la multiplicité d’IRP nées dans des contextes différents : 1936 pour les DP, 1945 pour les CE et 1982 pour les CHSCT. Revendication de longue date du patronat, la simplification a fait un premier pas en 1993 avec la loi quinquennale sur l’emploi ; celle-ci offre la possibilité, dans les entreprises de moins de 200 salariés, de réunir DP et CE dans une délégation unique du personnel (DUP) par décision de l’employeur. En 2014 et 2015, lors de la négociation interprofessionnelle interprofessionnelle sur la modernisation du dialogue social, le patronat défend le principe d’une seule institution. Après l’échec des discussions, la loi du 18 août 2015 introduit une modification, mais d’ampleur limitée : la possibilité de mettre en place une DUP à l’initiative de l’employeur est étendue aux entreprises de moins de 300 salariés, cette instance pouvant désormais absorber le CHSCT. Au-delà de 300 salariés, un regroupement est possible par accord majoritaire.
Rationaliser la représentation des salariés
L’idée revient sur le devant de la scène lors de l’élection présidentielle de 2017 : le programme d’Emmanuel Macron prévoit « la fusion des IRP dans une instance unique de représentation, sauf accord d’entreprise contraire ». On trouve trace de cette proposition dans un rapport cosigné en 2014 par les économistes allemand et français Henrik Enderlein et Jean Pisani-Ferry
, qui préconise de « rationaliser les structures de représentation dans les entreprises de plus de 50 salariés ». Jean Pisani-Ferry ayant rejoint l’équipe de campagne du candidat, rien d’étonnant à ce qu’on retrouve cette mesure dans le programme du futur président, qui la mettra en oeuvre dès la première année de son mandat. La concertation sur la réforme du Code du travail n’aura pas permis d’en changer le cours. Paradoxalement, alors que le gouvernement affirmait sa volonté d’accroître les responsabilités des acteurs au niveau de l’entreprise, il a fait le choix de la contrainte légale : la création du comité social et économique (CSE) est obligatoire dans les entreprises de plus de 10 salariés ; seules ses modalités de fonctionnement peuvent faire l’objet d’un accord. Le durcissement s’explique probablement par la crainte de voir de nombreux chefs d’entreprise accepter de maintenir les IRP existantes afin d’éviter un conflit avec les syndicats.
Un virage compliqué à prendre
Cette fusion forcée pose une question difficile pour les syndicats. D’un côté, chaque instance avait des compétences et des modes d’intervention qui lui étaient propres. Chacune était mieux à même de maîtriser son domaine d’activité. Leur multiplicité offrait l’avantage de cumuler les droits et les ressources pour la représentation des travailleurs. De l’autre côté, du fait d’un syndicalisme affaibli, il existait un risque de fragmentation qui n’était souvent évité qu’au prix du cumul des mandats, avec des effets pervers, doublé d’un autre : celui d’une concentration des forces disponibles dans l’institution jugée prioritaire ou capable de susciter des candidatures.
Les CHSCT traduisaient assez bien ce dilemme. D’une part, ils ont favorisé la prise en charge des questions du travail aux côtés de CE fréquemment polarisés par des problèmes d’emploi, sinon par la gestion des oeuvres sociales. Ils ont également été des lieux d’apprentissage de savoirs nouveaux chez les militants, souvent en dialogue avec l’expertise. Ils ont révélé de nouvelles capacités de mobilisation des salariés sur des thèmes longtemps restés au second plan. Ils ont permis la prise de conscience des solidarités entre l’unité de production et son environnement (sécurité industrielle, pollutions…). On mesure quel coût il y aurait pour le syndicalisme s’il perdait ces ressources et ces savoirs militants.
Mais, d’autre part, de nombreux travaux et débats avaient souligné les conséquences négatives de l’incapacité qu’a eue le mouvement syndical à assembler simultanément ses revendications dans le domaine de l’emploi et dans celui du travail. Les CHSCT ont souvent conduit à isoler les questions du travail parce qu’elles étaient de facto déléguées à des élus spécialisés dont l’action se situait à la seule échelle des établissements. Pour ceux qui adoptent ce point de vue, seule une IRP unique, grâce à sa compétence générale et à l’articulation de ses niveaux (établissement, entreprise, groupe), aurait une capacité d’analyse et d’intervention globale sur la stratégie patronale. Encore faudrait-il que, dans cette démarche, les orientations économiques, le travail et l’emploi soient traités conjointement, après avoir été étudiés par des commissions spécialisées.
A l’évidence, aucune réponse optimale ne s’impose. Et nous sommes aujourd’hui loin de l’optimum lorsque les syndicats affrontent le passage de la première à la seconde logique avec des moyens considérablement réduits.