En théorie, le comité social et économique (CSE) a hérité des prérogatives du CHSCT. En matière de conditions de travail, il peut demander l’aide d’un expert habilité
en cas de risque grave ou lorsque l’employeur le consulte sur un projet important. Mais le diable se niche dans les détails ! En effet, quand on parle d’expertise sur un projet important, le CSE doit régler 20 % des honoraires du cabinet sur son budget de fonctionnement, alors que l’employeur en payait la totalité auparavant. Place, donc, au cofinancement. Ce principe s’applique aussi à d’autres prestations, comme le recours à un expert-comptable pour analyser les orientations stratégiques de l’entreprise ou lorsqu’un droit d’alerte économique est déclenché par le CSE. Les nouveaux élus, en particulier dans les entreprises moyennes où ils ne disposent que d’un maigre budget, se disent que, dans ces conditions, l’expertise n’est plus pour eux.
Et c’est bien là l’objectif poursuivi par le gouvernement. Le Medef martelait depuis des années que les CHSCT outrepassaient leurs droits et demandaient trop d’expertises. Comme pour les dépenses de santé, on agit en instaurant un ticket modérateur pour réduire de prétendus abus ! Avec d’ailleurs la même dérive : un recul de la prévention et des « maux du travail » ne pouvant plus être soignés à temps, ce qui entraîne une dégradation de la situation, encore plus difficile à traiter demain. Les chiffres sont pourtant connus : seuls 5 % des CHSCT faisaient appel à un expert chaque année.
Un budget tout juste suffisant
Une lecture plus attentive des textes ouvre toutefois quelques perspectives, qui permettront aux représentants du personnel de se montrer plus offensifs. Rappelons tout d’abord ce qu’était le budget de fonctionnement du comité d’entreprise institué par les lois Auroux : l’employeur devait contribuer à hauteur de 0,2 % de la masse salariale. C’est la même obligation dans le cas du CSE aujourd’hui. Ce budget se distingue de celui des oeuvres sociales, qui n’est pas encadré légalement. La dotation de fonctionnement couvre le salaire de l’employé administratif, l’informatique, l’assurance, les fournitures, les déplacements, les honoraires de conseil juridique, etc. Par exemple, dans une entreprise de 300 personnes où la rémunération annuelle moyenne est de 30 000 euros, la masse salariale s’élève à 9 millions et le budget du CSE à 18 000 euros. Ce qui est juste suffisant pour couvrir les dépenses courantes. Rappelons aussi que le fonctionnement du CHSCT, qui n’avait pas de budget propre, était entièrement financé par l’employeur. En réunissant les instances, le législateur a ainsi mis à la charge du CSE les dépenses engagées pour s’occuper des conditions de travail (achats de documentation, déplacements sur le terrain). Pour payer une expertise, il faudrait donc que l’instance ait dégagé un excédent budgétaire. Cela existe, mais il s’agit souvent d’entreprises prospères où les besoins d’expertise sont rares. Dans celles en difficulté, les élus font davantage appel à des professionnels extérieurs : ils ont besoin de l’expert-comptable pour examiner les orientations stratégiques, ainsi que de l’expert habilité pour comprendre les effets des restructurations sur la santé.
Sur attestation de l’expert-comptable
En maintenant le droit à expertise tout en ne permettant pas, en pratique, à de nombreux CSE d’y recourir, le législateur prenait un risque juridique. Un amendement est donc venu préciser que « toutes les expertises habituellement en cofinancement sont financées à 100 % par l’employeur quand le budget de fonctionnement du CSE est insuffisant »
. Le Conseil constitutionnel a validé le texte en indiquant que « même dans les cas où un cofinancement par le comité social et économique est en principe exigé, le troisième point de l’article L. 2315-80 [du Code du travail, NDLR] prévoit une prise en charge intégrale par l’employeur si le budget de fonctionnement du comité, au moment où il décide de recourir à l’expertise, s’avère insuffisant pour couvrir [son] coût ». A condition toutefois qu’aucun excédent n’ait été transféré au budget destiné aux activités sociales et culturelles au cours des trois années précédentes. Dès lors, si le CSE ne peut payer sa part de 20 %, l’employeur règle tout comme auparavant
. Reste à se mettre d’accord sur la notion de « budget insuffisant ».
Reprenons l’exemple de l’entreprise de 300 salariés. On voit bien que, si le CSE payait 20 % du montant d’une expertise, il ne serait plus à même de fonctionner : il lui faudrait licencier son employé, restreindre les déplacements des élus ou renoncer aux services de son avocat. La meilleure solution qui s’offre à lui ? Demander à son expert-comptable une attestation constatant qu’il n’est pas en mesure de financer l’expertise. Si l’employeur est de bonne foi, il prendra alors en charge son coût entier.
Les ordonnances attribuent au CSE central des prérogatives en matière de santé au travail. La plupart des informations et consultations sur les projets importants doivent se faire à son niveau, et non à celui des CSE d’établissement. Il lui revient alors de choisir un expert et de payer 20 % de ses honoraires. Le problème est que la loi n’a pas prévu de budget de fonctionnement pour le comité central ! L’article L. 2315-62 indique : « Dans les entreprises comportant plusieurs comités sociaux et économiques d’établissement, le budget de fonctionnement du comité social et économique central est déterminé par accord entre le comité central et les comités d’établissement. » Ces accords prévoient généralement de couvrir les frais courants de l’instance centrale. Il sera donc probablement fréquent que celle-ci ne soit pas en mesure de financer la quote-part des expertises. On retombe alors dans le cas précédent : le budget étant insuffisant, c’est à l’employeur de payer toute la facture. Les élus doivent monter au créneau pour se donner les moyens d’être conseillés dans cette tâche complexe qu’est l’amélioration des conditions de travail.