Depuis plus de trente ans, Christelle Morera s’occupe de la propreté des établissements scolaires. Au collège André-Malraux, à Châtelaillon-Plage (Charente-Maritime), où elle est agente polyvalente, son quotidien se partage toujours entre le nettoyage des classes et la plonge à la cantine. Un travail usant qui l’a conduite, avec les années, à réclamer à sa direction de nouveaux équipements pour elle et ses collègues : balais ergonomiques, manches télescopiques, mops de nettoyage… « Tout ce matériel qu’on a obtenu est révolutionnaire », apprécie la titulaire de 55 ans. « On n’a plus besoin de s’accroupir pour nettoyer les plinthes », insiste celle qui raconte avoir commencé cette activité « avec un balai coco, une serpillière et un balai-brosse ».
Christelle Morera est loin d’être la seule quinquagénaire à un tel poste : dans les 51 collèges de Charente-Maritime, la moyenne d’âge des agents techniques atteint 53,5 ans. Associé à des tâches physiques pénibles, ce vieillissement met leur santé à rude épreuve. Les agents polyvalents souffrent de tendinopathies des coudes et des épaules, ou d’affections du dos. « Lors de l’année scolaire 2018-2019, neuf consultations sur dix ont abouti à des restrictions médicales, conduisant souvent à exclure les personnes concernées des activités de plonge, expose Damien Charles, médecin au service Prévention, santé, vie au travail du conseil départemental. Même en ne faisant que du ménage, les gestes répétitifs entraînent des tendinopathies. » En constante progression, le taux d’absentéisme a atteint 13,5 % en 2019, conduisant la collectivité à impulser des changements. « Les gestes, inappropriés depuis plusieurs années, ont eu des conséquences importantes sur le personnel, déclare Caroline Aloé, vice-présidente du conseil départemental déléguée à l’éducation et aux collèges. Et nous avons constaté que chaque collège avait sa façon de nettoyer. »
Pour définir une nouvelle « méthode globale de nettoyage », des agents polyvalents, les directions de quelques collèges, le CHSCT ainsi que le service prévention, réunis dans un groupe de travail, ont planché pendant un an. Tout a été remis à plat : choix des équipements, composition des produits, organisation du travail et protocoles de lavage. Depuis l’année scolaire 2019-2020, le dispositif est testé dans cinq établissements. « Le vrai changement, c’est la pré-imprégnation avec l’eau ozonée », indique Inga Zilina, chargée de mission qualité à la direction de l’Immobilier des collèges et de la Logistique, qui a piloté ce projet.
Exit le double seau d’eau
Cette technique consiste à imbiber des microfibres avec une juste quantité d’eau ; une fois usagées, celles-ci sont jetées dans un filet pour être lavées. Désormais, plus besoin du double seau, qui exigeait non seulement de déplacer d’importants volumes de liquide, propre et sale, mais aussi de répéter des gestes d’essorage. Ainsi, pour le lavage de 100 m2 de surface, à peine un litre est nécessaire contre quinze auparavant. « Pour les agents de nettoyage, le port de charge lourde a été divisé par vingt, précise Inga Zilina. Remplis, les petits seaux ne dépassent pas cinq kilos, permettant aux personnes ayant des restrictions d’aptitude de les utiliser. » Le nécessaire pour le nettoyage complet des classes peut tenir sur de nouveaux chariots, plus légers et ergonomiques. Ce qui évite des allers-retours pour les personnels.
L’usage d’eau ozonée, une des solutions qui s’est dégagée pendant le processus de consultation, se substitue aux détergents, avec de multiples avantages : suppression d’exposition à des risques toxiques, meilleure qualité de l’air, absence de résidus à rincer sur les tables, économies en consommation d’eau et de produits… « On a gagné sur tous les tableaux », se félicite Inga Zilina. Avec, à la clé, le maintien en poste de deux personnes intolérantes aux produits chimiques, déclarées inaptes.
Pour les agents de nettoyage qui expérimentent ces nouveaux équipements, la différence se fait vite sentir. « Avant, je serpillais avec un balai long et lourd, témoigne Nathalie Favard, agente polyvalente depuis dix ans. Celui que j’utilise aujourd’hui, plus court et léger, est très maniable et passe facilement sous les chaises. » Doté de lingettes, le manche télescopique dont elle se sert maintenant a remplacé les chiffons qu’elle passait à la main sur les surfaces : « On fait moins travailler les poignets et les épaules, et ça va beaucoup plus vite. On arrive davantage à être dans les temps, ça réduit le stress et la fatigue », décrit cette femme de 53 ans, attentive à économiser ses gestes pour ne pas faire souffrir son dos fragile. « On n’a plus besoin de tourner autour des tables avec nos lavettes ; avec le manche, on reste droites, on ne tire plus sur les bras », renchérit Christelle Morera.
Eviter les pratiques de « surnettoyage »
Outre l’adaptation du matériel, les échanges ont porté sur l’activité même des agents de nettoyage. « Nous avons évalué le temps nécessaire par tâche, le nombre de passages par jour et déterminé l’utilisation des textiles en fonction des lieux », relate Eric Sorton, chef adjoint du service prévention. Une douzaine de protocoles de travail ont été établis, correspondant aux salles de classe, aux toilettes, etc. Du jamais vu. Il a fallu redéfinir ce qu’est la qualité de service au niveau de la propreté d’un établissement scolaire, notamment pour éviter des pratiques de « surnettoyage ».
Une évolution qui n’est pas anodine pour les agents de service polyvalents, prévient toutefois Damien Charles : « Ils peuvent voir dans la mise en place d’un service minimum de nettoyage une baisse du niveau d’exigence et perdre le sens de leur travail. » Si elle n’a pas encore réduit l’absentéisme, l’expérimentation a été plébiscitée dans les établissements pilotes. D’ici à 2023, la « méthode globale de nettoyage » devrait être étendue à tous les collèges du département.