Quel bilan faites-vous de la mise en place du CSE et de la disparition du CHSCT ?
François Cochet : Les perturbations engendrées par la crise sanitaire rendent difficile un point de vue définitif. Les problèmes ont émergé là où les employeurs ont imposé une centralisation du dialogue social. Impossible de bien travailler quand dix ou quinze CHSCT d’établissements ont été fusionnés en un seul CSE dont les réunions durent trois jours ! Lorsqu’un réseau de représentants de proximité n’a pas été négocié, les CSE sont devenus des instances hors sol.
Éloïse Galioot : Avec la disparition de CHSCT représentatifs de périmètres géographiques ou de typologies d’emplois, les élus ont moins la capacité de faire état des difficultés concrètes du travail. Tout ce qui fait la complexité du travail et le sens du détail sont perdus. De plus, le CSE est noyé dans la somme de toutes les questions à traiter. Mais nous constatons que là où les instances CHSCT et CE fonctionnaient ensemble chacune dans son rôle et se coordonnaient, l’articulation entre les volets économique et social et santé-sécurité se poursuit au sein des CSE.
F. C. : Pour être intéressantes et avoir des chances d’être mises en œuvre, les propositions doivent s’appuyer sur des éléments concrets. Certains employeurs de la métallurgie regrettent les CHSCT, des lieux où la réalité du travail pouvait être mise en discussion de façon pragmatique.
Le fonctionnement du CSE est défini en partie par la négociation collective. Est-ce une avancée ?
E. G. : Clairement, là où le rapport de forces est défavorable aux salariés, comme dans les PME, c’est souvent le minimum légal qui prévaut. Ce n’est pas forcément là où il y a le moins de risques. Sur un plan qualitatif, les accords de création des CSE et des commissions santé, sécurité, conditions de travail (CSSCT) ont souvent été négociés en s’inspirant du fonctionnement des CE et des CHSCT. Mais il ne s’agit pas du même type d’instance. La manière dont la CSSCT et le CSE doivent travailler ensemble sur les retours du terrain issus des inspections et enquêtes a été assez peu pensée. Les négociations n’ont pas pris en compte l’articulation nécessaire entre les deux instances, afin que les ordres du jour soient cohérents et que le CSE ne soit pas le lieu d’une redite, mais bien d’une prise de décisions.
F. C. : Au moins dans ses intentions, la loi permettait de mettre en place des dispositifs assez variés. Mais la réalité de la négociation a été très déséquilibrée puisque les dirigeants n’avaient aucune incitation à négocier et que l’application stricte de la loi leur convenait. Je conseille aux CSE de faire un vrai bilan de leur fonctionnement. Quels sujets ont-ils pu traiter ? Lesquels ne l’ont pas été ? Quel temps a été consacré aux questions du travail ? Comment mieux articuler le CSE, la CSSCT et les délégués de proximité ? Il sera alors possible de renégocier les accords signés pour un mandat en s’inspirant des meilleures pratiques.
De nombreux élus du personnel disent ne pas avoir assez de temps pour exercer leur mandat. Qu’en est-il vraiment ?
F. C. : La question de l’efficacité du travail militant ne doit pas être taboue, ce qui renvoie à la formation. La loi sur le renforcement de la prévention en santé au travail, votée cet été, rappelle que tous les représentants du personnel ont droit à la formation en santé et sécurité au travail (SST), et apporte une amélioration : lors du renouvellement de mandat, les membres de la CSSCT auront droit à cinq jours de formation au lieu de trois. Il faut s’en féliciter, car une majorité d’élus du personnel ne sont pas formés.
E. G. : Dans le secteur tertiaire, le travail des élus se fait fréquemment en temps masqué, invisible aux yeux des collègues et de la hiérarchie, lorsque l’emploi du temps le permet, et avec des difficultés à poser des heures de délégation. Sur des sites industriels, il existe davantage de séparation entre le temps de travail et celui des mandats, sans qu’il y ait pour autant une décharge réelle. Le travail de préparation, de lecture et de formalisation est réalisé souvent sur du temps personnel. Se pose également la question de l’isolement des représentants du personnel et du soutien apporté par les organisations syndicales.
Quelles sont les caractéristiques d’un CSE qui fonctionne bien ?
E. G. : Dans un CSE qui joue pleinement son rôle sur le volet santé et sécurité au travail, on retrouve souvent une bonne articulation entre le terrain, avec des enquêtes menées par les élus du personnel, et une analyse précise des documents obligatoires, comme le document unique d’évaluation des risques ou le programme annuel de prévention.
F. C. : Le recours à l’expertise, en cas de risque grave ou de modification importante des conditions de travail, reste un puissant levier pour faire des questions du travail l’un des sujets forts du CSE. Cette décision appartient au CSE, non à la CSSCT, qui n’en a pas le pouvoir. Les CSE ont aussi la possibilité de confier une mission à un expert-comptable, lors de l’information- consultation obligatoire sur la politique sociale. De plus en plus de cabinets ont la double casquette : expertise comptable et certifiée en SST. Dans ce cadre, partir des chiffres n’est pas la seule voie. Il est possible d’élargir la mission à des questions qualitatives, avec chaque année le choix d’un thème particulier, par exemple une analyse des causes d’une accidentologie élevée.
E. G. : Je suis moins optimiste sur les moyens donnés aux experts pour aller au-delà de l’analyse des chiffres et des documents obligatoires, se rendre sur le terrain. Le recours à des experts est essentiel sur des sujets importants comme les risques graves, mais il ne faudrait pas que ces missions thématiques ponctuelles remplacent le travail d’inspection et d’enquête des élus. Ils peuvent demander à être accompagnés pour construire une démarche d’enquête, en définir le périmètre et la méthodologie, traiter les informations pour argumenter auprès de l’employeur.
Avez-vous des mesures ou conseils en tête, pour améliorer la situation ?
E. G. : Lors d’informations-consultations pour projet important, une vraie limite à l’exercice de l’expertise, et donc aux clés de compréhension fournies aux élus, tient à la temporalité. Souvent la demande d’intervention nous parvient une fois le projet bouclé. Des modifications ne pourront donc plus être apportées ou seulement à la marge. Sur des projets qui s’étalent sur plusieurs années, il faudrait des informations-consultations obligatoires à chaque phase, pour que les élus puissent suivre leur avancée, comprendre les choix de la direction, indiquer le risque de générer tel ou tel problème organisationnel et les effets induits sur la santé.
F. C. : Le cadre législatif n’a cessé de durcir les conditions des missions d’expertise auprès des CSE, en raccourcissant les délais. C’est regrettable. Mais c’est un sujet à 100 % ouvert à la négociation : aux élus, qui ont souvent entendu parler des projets en amont, de proposer le plus tôt possible des expertises en plusieurs phases. Je ne partage pas le pessimisme sur les effets de nos missions. Parfois la direction donne l’impression de n’avoir rien appris de l’expertise. Mais, six mois après, des propositions rejetées sont mises en œuvre parce qu’elles se basaient sur le réel du travail, qui ne peut être nié indéfiniment.
E. G. : Le rôle d’alerte des représentants du personnel et leur recours à un expert restent déterminants. Notre constat est que les directions se saisissent trop peu des recommandations faites par les experts, alors que celles-ci ont pu intéresser des interlocuteurs hors CSE, chefs de projet ou encadrants, interpellés par nos questions.
F. C. : Oui, pour démultiplier les effets d’une expertise, beaucoup d’élus du personnel insistent pour que les chefs de projets soient présents lors de sa restitution en CSE. Enfin, il est toujours possible d’améliorer la loi. Mais si on fait vivre pleinement le droit, il existe déjà beaucoup de moyens d’agir dans le domaine de la santé au travail.