Lorsque Marion Gilles a poussé pour la première fois la porte de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), c’était en 1999, en tant que stagiaire, quelques mois après l’adoption des 35 heures. Pour l’étudiante en DESS de sociologie des organisations, qui y sera finalement engagée comme chargée de mission, ce fut une période bouillonnante : « La réduction du temps de travail rebattait les cartes de l’articulation de la vie professionnelle et personnelle ; elle chamboulait l’organisation de l’activité, qu’il fallait repenser. »
En 2003, changement de registre. Avec la réforme Fillon sur les retraites et la baisse des départs anticipés financés par l’Etat, l’action de l’Agence se déploie sur la « gestion des âges ». « J’étais frappée par ce paradoxe : d’un côté, l’injonction à travailler plus longtemps ; de l’autre, la mise à l’écart des plus de 50 ans du marché de l’emploi, relate Marion Gilles. La gestion des âges remettait au goût du jour des approches de l’Anact sur la prévention de l’exclusion des salariés vieillissants par l’amélioration des conditions de travail. » Avec ce credo : le maintien dans l’emploi ne passe pas seulement par une attention portée aux fins de carrière mais par une gestion des parcours professionnels tout au long de la vie active, dans le cadre d’un travail soutenable.
Parenthèse académique
Ces années-là la rapprochent du Centre de recherches sur l’expérience, l’âge et les populations au travail (Creapt). Un de leurs projets « parle » à l’ex-étudiante en mathématiques appliquées aux sciences sociales : construire des indicateurs de santé au travail dans les entreprises. C’est le début d’une parenthèse académique, couronnée par un doctorat de sociologie obtenu à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Puis Marion Gilles retrouve l’Anact, les travailleurs vieillissants et notamment un programme mené avec l’Assurance maladie pour cibler des entreprises et leur proposer des dispositifs d’intervention visant la réduction de l’usure professionnelle : « Le taux de seniors employés n’était pas un indicateur très pertinent pour les identifier. S’il est faible, cela peut signifier que les conditions de travail sont si mauvaises que ces derniers n’ont pas pu rester. » Un projet toujours d’actualité…
Actuellement au département Capitalisation et développement des connaissances, elle témoigne des difficultés à accompagner le vieillissement actif au travail, parce que la complémentarité entre les organismes de prévention est complexe à organiser, de même que la synergie entre les acteurs de la santé au travail, de l’emploi et de la formation professionnelle. « C’est l’enjeu des prochaines années que de les surmonter, estime la jeune femme. En promouvant des approches pluridisciplinaires et transversales ancrées dans les territoires. En impulsant le dialogue social dans les branches qui peuvent élaborer des normes collectives. En sortant du “parcours CV” pour construire des “parcours de travail”, ce qui implique de bien connaître l’activité. » En sortant aussi du réflexe gestionnaire des départs précoces, encore trop répandu.