« Le compte pénibilité concerne un nombre réduit de salariés »
entretien avec Annie Jolivet, économiste au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam)
par
Catherine
Abou El Khair
/ octobre 2021
Comment la législation sur la pénibilité s’est-elle développée ?
Annie Jolivet : La pénibilité du travail apparaît dans la loi sur la réforme des retraites de 2003. Toutefois, les effets irréversibles du travail sur la santé font débat depuis bien plus longtemps. La loi du 31 décembre 1975 créait ainsi une retraite anticipée pour les travailleurs manuels exposés à des conditions difficiles : travail en continu, en semi-continu, à la chaîne, exposant à la chaleur ou aux intempéries.
Avec la fin des préretraites financées par des fonds publics et l’allongement de la durée d’assurance requise pour une retraite à taux plein, les difficultés de maintien dans l’emploi d’individus usés par le travail sont redevenues visibles. Des dispositifs plus ou moins ciblés ont alors été mis en place : cessations anticipées d’activité des travailleurs de l’amiante, préretraites d’entreprise ou de branche. La loi de 2010, qui définit la pénibilité liée au travail, crée une retraite anticipée pour y répondre mais de manière très restrictive. Créé en 2014, le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) a été conçu comme un dispositif plus englobant.
Quels sont les apports d’un compte pénibilité ?
A.J. : Le compte pénibilité vise à sortir de l’approche curative, privilégiant les sorties anticipées en fin de carrière, et à davantage prévenir les effets irréversibles sur la santé. Des points sont comptabilisés en fonction de l’intensité et de la durée de l’exposition aux conditions de travail dont les conséquences négatives sur l’espérance de vie sans incapacité sont établies. Ils ouvrent aux salariés des droits supplémentaires à la formation pour se reconvertir assez tôt et peuvent compenser la perte de rémunération d’une réduction du temps de travail.
Mutualisé entre les employeurs, le dispositif est plus égalitaire qu’un recours aux préretraites et renforce l’incitation à la prévention. Les entreprises le financent en partie en fonction de la pénibilité de leurs emplois, ce qui a permis d’ouvrir la discussion, notamment au niveau des branches, sur les postes de travail concernés. Mais la fronde d’une partie du patronat et les difficultés de mise en place du C3P ont conduit à le vider d’une partie de sa substance.
Quels sont les ratés de cette réforme ?
A.J. : Le compte désormais intitulé « professionnel de prévention » (C2P) a supprimé quatre facteurs de pénibilité : agents chimiques dangereux, vibrations mécaniques, postures pénibles, manutentions manuelles de charges. Cela réduit le nombre de salariés concernés et le cumul de points pour ceux dont le compte est ouvert. Le C3P comportait aussi des limites qui perdurent dans le C2P : un emploi de moins d’un mois ne comptabilise pas de points ; les seuils d’intensité sont très élevés ; les emplois occupés par les femmes ouvrent peu droit aux points. Cependant, la législation sur la pénibilité du travail ne se résume pas au compte. La possibilité de « tenir » au travail reste un enjeu majeur de prévention pour les employeurs.